Depuis quelques jours, les actes de piraterie perpétrés au large des côtes somaliennes ont pris l'allure d'une véritable activité industrielle. Sept navires ont été arraisonnés depuis 12 jours, dont deux, hier. Jusqu'à maintenant, de loin le plus gros butin des criminels de la mer est le superpétrolier saoudien Sirius Star, dont les pirates ont pris le contrôle, samedi, faisant des 25 membres d'équipage, surtout philippins, leurs otages.

L'affaire est exceptionnelle à plusieurs points de vue.

Par la valeur de la cargaison, d'abord, destinée aux États-Unis: 100 millions $US de pétrole brut, le quart de la production quotidienne de l'Arabie Saoudite.

 

Exceptionnelle aussi par l'audace et le niveau d'organisation que le coup suppose. Le tanker (flambant neuf et de la taille d'un porte-avions américain!) voguait à 800 kilomètres des côtes kényanes, très loin du territoire de chasse habituel des pirates, plus au nord. Et il se trouvait dans une région du globe, non loin du golfe d'Aden, quadrillée par une armada de bâtiments de guerre dont plusieurs sont spécifiquement assignés à la protection des navires marchands.

Quatre destroyers et frégates de la Marine canadienne ont, au cours des derniers mois, été envoyés en mission dans ce secteur, notamment dans le but de protéger l'aide-humanitaire destinée à la Somalie - sur laquelle les pirates, en majorité d'anciens pêcheurs somaliens, n'hésitent pas à faire main basse.

Depuis le début de 2008, 94 navires ont été attaqués dans le golfe d'Aden et l'océan Indien. Une vingtaine de millions de dollars ont été versés en rançon. Quatorze bateaux et leurs 268 membres d'équipage sont toujours entre les mains des pirates, surtout à Eyl, petite bourgade portuaire somalienne qui connaît un véritable... boom économique directement lié à cette activité.

C'est une situation qui semble inextricable.

On ne dispose pas, beaucoup s'en faut, de suffisamment de navires de guerre pour sécuriser cette région. Et lorsque des pirates sont appréhendés (une soixantaine, cette année), il faut tôt ou tard les relâcher puisqu'aucun pays ne veut ou ne peut les traduire en justice. Surtout pas la Somalie elle-même, qui est de facto sans gouvernement depuis près de 20 ans. De fait, les pirates se voient souvent comme des percepteurs de «taxes» que leur État est incapable d'encaisser...

Pendant ce temps, les armateurs paient des rançons, ou acquittent des primes d'assurance gonflées, ou empruntent des routes plus longues, ce qui se répercute sur les coûts des biens de consommation. Certains embauchent des gardes armés, mais c'est une recette pour le désastre.

Du terrorisme islamiste au trafic de la drogue, des armes et des êtres humains, on constate de plus en plus que l'existence d'États faillis est à la source du problème. De l'Afghanistan à la Somalie en passant par de nombreux territoires de non-droit en Asie ou en Amérique du Sud, même les opérations militaires ont globalement échoué à y faire quoi que ce soit. Bref, en maints endroits, la marine marchande pourrait se trouver encore longtemps menacée.

De toute évidence, il n'y a qu'Astérix qui puisse venir à bout des pirates en un tournemain.

mroy@lapresse.ca