Les élections qui ont lieu au Québec, aujourd'hui, ont à plusieurs points de vue un caractère inusité. La première singularité se trouve certainement dans l'ambiance de fin du monde qui prévaut depuis deux semaines au niveau du gouvernement fédéral; elle a accaparé toute l'attention pendant une bonne partie de la campagne. De même, par son élévation intellectuelle et son caractère historique, l'élection présidentielle américaine a aussi projeté une ombre sur la campagne québécoise.

Mais il y a autre chose encore.

De mémoire d'électeur, c'est la première fois qu'a été plaidée de façon soutenue l'idée selon laquelle ne pas aller voter (non pas annuler, mais bien ne pas se rendre du tout à l'isoloir) constituerait, en cette occasion-ci, un geste responsable et significatif, porteur d'un message fort si la désertion est massive.

Cette doctrine a fait suffisamment de bruit pour que le directeur général des élections du Québec s'en émeuve. Disant craindre un taux d'abstention record, Marcel Blanchet a en effet cru nécessaire de plaider que «se priver d'exercer ce droit serait une décision lourde de conséquences et (...) un très mauvais calcul».

Au cours des derniers jours, le vote par anticipation a été important : 11,8% des électeurs inscrits s'en sont prévalus. Mais cela ne permet pas de présumer de l'enthousiasme que les urnes susciteront aujourd'hui. On en jugera à la lumière de ceci : au Québec, depuis 50 ans, le taux de participation n'est passé sous le seuil des 75% que trois fois en 13 élections générales : en 1966, 2003 (année-record : 70,4%) et 2007.

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On n'invoquera pas avec des trémolos dans la voix le devoir du citoyen, l'héroïsme des pionniers de la démocratie ou le caractère sacré de la boîte de scrutin... Beaucoup plus prosaïquement : l'argument voulant qu'une abstention massive puisse avoir une signification politique ne tient tout simplement pas la route.

D'une part, l'abstention délibérée se confondra inévitablement avec celle ayant pour cause la paresse, la négligence ou l'indifférence. Aucune statistique ne fera le partage, le tout étant classé au rayon des voix non exprimées et non entendues. Ce n'est pas un message : c'est le vide et l'oubli. L'annulation, elle, constitue au contraire l'expression d'une opinion : se rendre au bureau de scrutin et signifier qu'on ne choisit aucun des candidats en lice est un désaveu «actif», clair, net, légitime, comptabilisé, des options offertes - ou même du «système», comme on dit.

Dans le cas du scrutin d'aujourd'hui, l'abstention enverrait un message, largement convoyé par les partis de l'opposition, selon lequel ces élections n'étaient pas désirées? Dans les faits, il est rare que le bon peuple se batte dans les autobus pour obtenir une campagne électorale, en général vue comme une corvée. Cela n'enlève rien à son importance.

Néanmoins, si la colère qu'inspire le fait d'avoir à se prononcer politiquement est le seul signal politique que l'on désire émettre, plusieurs choix s'offrent : neuf partis sont enregistrés au bureau du DGE, ainsi qu'un certain nombre d'indépendants - en plus, rappelons-le, de la possibilité de n'en choisir aucun.

Ces options sont disponibles dans tout bon isoloir.