Algérienne d'origine (bien que née en Ukraine) et Canadienne d'adoption après avoir vécu aussi en France, Djemila Benhabib a personnellement connu trois modes de fonctionnement du militantisme islamiste. La méthode forte en Algérie: surtout pendant la décennie 90, une poignée de groupes armés y firent régner la terreur, massacrant parfois des villages entiers, laissant derrière eux 100 000 cadavres. Un mode hybride en France: prosélytisme et intimidation dans les banlieues en même temps que patient lobbyisme politique au centre. Et la méthode discrète au Canada: petits pas et luttes ciblées.

C'est le portrait d'ensemble se dégageant de Ma vie à contre-Coran, ouvrage tenant à la fois de l'essai et de l'autobiographie, qui débarquera en librairie cette semaine et dont on trouvera des extraits ci-contre.

 

La critique de l'islam radical est un genre littéraire qui n'est pas sans péril et auquel les femmes semblent s'adonner avec une détermination particulière: pensons aux Taslima Nasleen, Irshad Manji et autres Ayaan Hirsi Ali. Il est vrai que les femmes sont toujours et partout les premières victimes de ce que Benhabib appelle le «fascisme vert».

Or, selon elle, le voile islamique est le premier symbole de soumission à l'islam politique, peu importe la taille du tissu et le nom qu'on lui donne. Cela, la commission Bouchard-Taylor ne l'a pas compris. Pas plus, fort étonnamment, que de grandes voix féministes telles Françoise David (Québec solidaire) et Michèle Asselin (Fédération des femmes du Québec).

En somme, plaide Djemila Benhabib sur 270 pages, il est impossible d'«accommoder raisonnablement» l'intégrisme. Et le voile islamique est le canal à travers lequel coulent les premières compromissions, inévitablement suivies d'autres, toujours plus dangereuses.

Le fait est que, là où le débat sur le voile a sévi avec le plus d'acuité (Turquie, France, Pays-Bas, Royaume-Uni), sa signification politique n'a jamais échappé à personne. Et ce, même dans les pays où on s'est interdit de l'interdire. Seulement au Québec et plus largement au Canada, dirait-on, le message porté par le voile est cet «éléphant dans la pièce» que chacun feint de ne pas voir.

C'est-à-dire: de ne pas voir... officiellement.

Car, au quotidien et en silence, chacun décode bel et bien le langage du vêtement d'essence religieuse, comme nous l'avons jadis noté dans cette colonne. Cela explique la terrible charge émotive qui explose lorsque l'actualité ramène l'affaire sur le tapis - voile à l'école, aux urnes, au tribunal et même à la maison, quand une adolescente est tuée pour avoir refusé de le porter.

Certes, on peut estimer que, aiguillée par un douloureux passé, en particulier dans sa séquence algérienne, Djemila Benhabib entretient une vue alarmiste des objectifs et des moyens de l'islam radical. On peut aussi se féliciter de notre tolérance et de notre inextinguible soif de paix sociale, précisément véhiculées par Bouchard-Taylor.

Néanmoins, il serait sage de retenir de cette vie à contre-Coran que rien de cela n'est totalement anodin. Qu'il y a bel et bien un «éléphant dans la pièce», qu'on le regarde ou pas.