D'un côté, un État placé sous la protection d'une divinité vengeresse et gouverné par des hommes pétris dans la culture religieuse, la plupart âgés, puissants et accrochés au pouvoir, sévères et impitoyables. De l'autre, une jeune femme ordinaire, vêtue de jeans à l'occidentale, tombée sous les balles au milieu de l'avenue Karegar, à Téhéran, lors des manifestations contre l'élection présidentielle du 12 juin, en Iran.

 Elle s'appelait Neda.Plusieurs versions existent quant à son identité et aux circonstances de son décès puisque, on le sait, la presse internationale est menottée. Néanmoins, les informations diffusées par la BBC, hier, paraissent fiables. Ainsi, il s'agirait de Neda Agha-Soltan, 26 ou 27 ans, qui s'est retrouvée plus ou moins par hasard au milieu d'une foule fuyant un assaut de la police. Elle aurait été abattue par un milicien. Elle est morte en moins de deux minutes, après que son dernier regard se soit tourné vers l'appareil, probablement un téléphone portable, avec lequel quelqu'un captait la scène.

Cela s'est passé, samedi, peu avant midi (heure de Montréal).

Le soir même, la vidéo avait déjà circulé dans le monde entier. Et Neda était devenue le symbole du soulèvement des Iraniens - on a le goût de dire: surtout des Iraniennes - contre une théocratie dorénavant tombée dans le discrédit le plus total.

Un tel régime ne se remet pas d'une telle image: c'est Neda qui est toute-puissante, maintenant.

Probablement la substance de tous les grands événements de l'histoire se concentre-t-elle en une image iconique - c'est fréquent, en tout cas.

Le jeune homme debout devant un char d'assaut de l'armée chinoise, place Tiananmen. Boris Eltsine grimpé sur un char d'assaut - un autre! - devant le parlement russe. Les premières briques arrachées du mur de Berlin, une nuit de novembre. Les puits de pétrole enflammés rougissant les sables du désert, lors de la première guerre du Golfe. La fillette nue, brûlée, en pleurs, fuyant les bombes qui tombent sur son village, au Vietnam...

Il est en outre remarquable que la portée de ces événements soit tributaire d'une technologie qui les définit aussi. Les presses rotatives et la guerre hispano-américaine de 1898. La radio et l'ascension d'Adolf Hitler. Le film d'actualité et la Seconde Guerre mondiale. La télé diffusant (en différé) les images du Vietnam. La première guerre du Golfe montrée (en direct) par la télé d'info continue, inventée par CNN...

Ainsi, les événements de juin 2009 en Iran sont ceux de l'internet 2.0. Du web "social". Du portable planétairement branché, de Facebook (où existe déjà une page "Neda"), de YouTube et de Twitter.

Jadis, on craignait le Big Brother orwellien à la solde d'un pouvoir totalitaire. C'est le contraire qui se produit. Des millions de little brothers grignotent, image par image, les pouvoirs absolus.

L'immortalité désormais acquise de la jeune Neda est un monument à la modernité sculpté dans l'atelier médiéval des vieux ayatollahs.