Comment un homme peut-il se retrouver dans la situation où, frais titulaire d'un prix Nobel de la paix, il sonne l'escalade dans un conflit impopulaire et incertain?

Car c'est bien de cela qu'il s'agit.

Dans six mois, les troupes supplémentaires annoncées par Barack Obama seront en territoire afghan. Il s'y trouvera alors trois fois plus de soldats américains et la guerre coûtera deux fois plus cher qu'en décembre dernier, au moment où le candidat nouvellement élu se préparait à entrer à la Maison-Blanche (98 000 soldats contre 32 000; 105 milliards US contre 55)...

 

L'adresse à la nation d'Obama, hier soir, l'aura vu livrer la décision la plus difficile et lourde de conséquences de sa jeune présidence. Elle fait de lui le «propriétaire» de ce conflit hérité. Et ce, par opposition à l'aventure irakienne qui, répète-t-il encore, aura surtout servi à saboter l'effort occidental en Afghanistan.

Cette guerre «nécessaire» qu'il s'approprie donc, Barack Obama lui donne plus de moyens, en une stratégie rappelant le «surge» de 2007 en Irak. Il lui accole un calendrier de retrait prévoyant les premiers rapatriements en juillet 2011, au moment précis où les Canadiens doivent aussi se retirer. Enfin, il projette de remettre graduellement le fardeau de la sécurité aux Afghans eux-mêmes... ce qui n'est pas évident.

Sous ces stratégies, on devine un changement de cap prononcé.

D'abord, le président souhaite que la puissance militaire américaine soit redirigée vers le terrorisme de foi benladienne, celui qui a moralement justifié l'opération afghane et peut encore faire mal. Redirigée aussi vers la sécurité du Pakistan, l'inquiétant voisin nucléaire de l'Afghanistan. Et ce, dans le cadre d'une nouvelle approche dont Obama n'a pas évoqué les détails (parce qu'ils relèvent largement de la diplomatie et de la guerre secrètes), mais dont on a compris l'importance.

Ensuite, peut-être y a-t-il plus remarquable encore parce que cela signale une spectaculaire fin des illusions.

Il s'agit d'un durcissement annoncé des exigences américaines tant à l'endroit du gouvernement Karzaï qu'à l'endroit des sous-fifres du pouvoir afghan et autres seigneurs locaux. «La reconstruction nationale (nation building) que nous sommes le plus intéressés à entreprendre, c'est celle qui doit être faite chez nous», a prévenu en substance Barack Obama.

Clairement, il s'agit d'un ultimatum: le président des États-Unis signifie ainsi que Washington renonce à reconstruire la nation afghane s'il faut le faire malgré elle, pour ainsi dire.

Cela met fin à une lubie liée à un idéalisme béat que la réalité s'est chargée de juger: on ne réécrit pas en quelques mois les siècles d'histoire ayant façonné un pays qui n'a jamais cessé - et, hélas, ne cessera peut-être jamais - d'être dysfonctionnel.