Dans nos sociétés, le niveau de tolérance à la violence, ou à la suggestion de la violence, est très variable. Certaines formes sont proscrites de façon absolue. D'autres sont non seulement tolérées, mais presque encouragées, en passe de devenir banales.

Par exemple, toute manifestation de rue, surtout à l'occasion des forums internationaux, est invariablement marquée d'une violence parfois très dure qui n'a d'autre contenu politique discernable que la violence elle-même. La chose n'étonne plus. Elle est dorénavant classée dans la catégorie des rituels immuables. Elle est à ce point prévisible qu'on l'inscrit presque au programme officiel des grands événements politiques!«On attend les Black Blocs de tout le continent», ont ainsi annoncé les médias danois à l'ouverture du sommet de Copenhague, il y a une semaine. De fait, les manifestants en noir sont venus, ont allumé quelques feux, fait un peu de casse, sont repartis... à pied ou dans le panier à salade.

La routine habituelle, en somme.

On accepte aussi sans états d'âme la violence symbolique, ou même physique, exercée contre certaines personnalités politiques. C'est-à-dire contre celles qui, pour une raison ou une autre, deviennent des icônes représentant le Mal. Ces personnages sont alors délestés de leur dignité et de leurs attributs d'êtres humains. Ils sont privés de ce que le commun des mortels, lui, peut revendiquer: la protection de sa personne et de son image contre les agressions et les abus.

C'est ainsi que quelqu'un a jugé correct de réaliser un montage photo plaçant la tête de Stephen Harper sur les épaules de l'assassin du président Kennedy, Lee Harvey Oswald, au moment où il est abattu par Jack Ruby. (Variation un peu plus ancienne sur ce thème: en 2006, on a tourné un film intitulé La Mort d'un président montrant l'assassinat imaginaire, visiblement souhaité, d'un successeur de Kennedy, George W. Bush, alors en fonction...).

C'est ainsi, encore, qu'un chef d'État de 73 ans, Silvio Berlusconi, est défiguré, victime de violents coups portés au visage avec un objet lourd utilisé comme une arme. Et que, presque le lendemain, apparaissent dans les boutiques des répliques de l'«arme», une cathédrale miniature, ainsi que des statuettes d'un Berlusconi ensanglanté, tuméfié, édenté. Il paraît que les consommateurs s'arrachent les deux... comme ils l'ont fait récemment pour le modèle de ces chaussures lancées à Bagdad à la tête de Bush - encore lui.

Par la violence, Harper, Bush, Berlusconi sont ainsi expulsés du cadre politique à l'intérieur duquel ils sont éminemment critiquables, pour n'être plus que des paillassons sur lesquels chacun s'essuie méchamment les pieds.

Est-ce nécessaire? Est-ce moralement correct?

Chose sûre, ça fait un peu mourir l'intelligence. Et fait beaucoup pour que survive cette violence dont chacun jure pourtant qu'il veut se débarrasser.