En février 1995, le cahier Livres de La Presse se demandait en une: «Où va le livre? Où va la littérature?» On voulait dire: le livre en tant qu'objet; la littérature en tant que produit spécifique de l'intelligence, de la grâce et de l'imagination. Exactement 15 ans plus tard et après une débauche de nouvelles technologies, sait-on davantage où va tout ça?

Probablement pas.

L'invention de l'écriture, puis de l'alphabet, puis de l'imprimerie, a mis des millénaires à pleinement porter ses fruits. Les outils numériques, eux, ont moins de trois quarts de siècle - en comptant large. Pourtant, leur portée est déjà aussi grande, peut-être plus grande, pour plus d'êtres humains, appartenant à plus de classes sociales et en plus d'endroits de la planète, que ne l'aura jamais été celle du livre.

 

En février 1995, donc, la question qu'il aurait plutôt fallu poser, c'est: «Pour commencer, le livre et la littérature vont-ils encore quelque part?»...

Pour quiconque a été formé à l'aune de la culture dite classique, celle de la déification de la Littérature et de la sacralisation du Livre (avec des L majuscules, n'est-ce pas?), on frôle alors l'hérésie. Car nous l'avons souvent répété dans nos pages: le milieu du livre et de la littérature est extrêmement conservateur. Au Québec, on vient même de redémarrer le débat sur le «prix unique», sorte d'idée fixe que l'on croyait fossilisée depuis la dernière ère glaciaire (voir le blogue de l'édito dans Cyberpresse).

Cependant, même ceux-là s'interrogent.

Ce vendredi, l'Université Laval accueillera un colloque intitulé «Le livre, les métamorphoses/Comment créer, éditer, diffuser aujourd'hui». On y verra des écrivains qui twittent, facebookent et youtubent...

Est-ce utile?

D'abord, il est difficile de ne pas voir dans toute cette agitation numérique, entre autres, une forme de marketing mise au goût du jour - ce qui n'est d'ailleurs pas condamnable. Les bandes-annonces pour des romans, par exemple. Placées sur YouTube comme dans le cas du Fol Allié, de Patrick Dion. Ou gravées sur un DVD offert avec le livre Parfaitement imparfait, du cinéaste Jean-Claude Lord.

Cependant, le marketing n'est pas l'essentiel. Ni même le livre en tant qu'objet: seuls les fétichistes pleureront encore, demain, l'odeur de l'encre et le velouté du papier.

Non, ce qui est vraiment mis en jeu par toute cette gadgeterie, c'est le rôle même de l'écrit conventionnel dans la dissémination des idées et de l'imaginaire. Ainsi, quelle idée d'un document consistant et achevé se fera un essayiste habitué à twitter des idées tenant en 140 caractères, à la seconde où elles viennent?

Bref, tout ça vaut-il encore le coup?

Les «classiques» répondent oui avec force. Mais peut-être les autres ne se posent-ils même pas la question.