Rarement la passation des pouvoirs au plus haut niveau d'une nation se sera-t-elle faite dans un contexte aussi particulier, voire dramatique, que celui prévalant au Chili. C'est en effet un pays sinistré dont hérite Sebastian Pinera, qui prend officiellement, aujourd'hui, le relais de Michelle Bachelet à la présidence de l'État.

Car le tremblement de terre d'il y a 12 jours a ébranlé, à la fois, une nation vue sur le continent comme un modèle et un président élu plein d'ardeur réformatrice.

 

Après 20 ans de gouvernements de gauche, Pinera devient le premier chef d'État chilien de droite depuis Pinochet. Il est vu par certains comme la version latino-américaine de Nicolas Sarkozy - ou même de Silvio Berlusconi pour ceux qui le détestent...

Il n'est pas inutile de noter ici que le candidat démocrate-chrétien et ex-président dans les années 90, Eduardo Frei, a reconnu sa défaite sans hésiter. Et il ne fait aucun doute que la cérémonie d'aujourd'hui, que l'on promet simple en raison des circonstances, sera fort civile.

Car, malgré l'épisode de la junte, le Chili n'est pas un pays vraiment fait pour les bruits de bottes. L'armée, historiquement discrète, demeure respectée. Le seul reproche qu'on a fait à la socialiste Michelle Bachelet depuis le séisme est de n'avoir pas suffisamment envoyé de soldats dans les rues pour mettre fin aux désordres et aux pillages!

Bachelet, 58 ans, à qui la constitution interdisait de se représenter (et qui l'a respectée...) part tout de même avec une cote d'amour de 84%!

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Avant la nuit fatidique du 27 février, donc, Sebastian Pinera devait être convaincu qu'il allait jouer sur du velours. Pour un économiste et homme d'affaires sud-américain comme lui, le Chili est (était?) un pays de rêve.

Il y a deux décennies, contrairement à la plupart des potentats de sa sorte, le vieux général Pinochet avait en effet légué une économie en état de marche. Et ses successeurs dûment élus ont ensuite pris soin de ne pas dilapider cet acquis. Aussi, durement touché par la crise en 2009, le Chili avait espoir de voir son taux de croissance grimper à 4,5% en 2010, accompagné d'une inflation et d'un taux de chômage faibles ou raisonnables. Pinera, lui, entendait survolter cette avancée.

C'était avant le séisme.

Bien sûr, les grands atouts du pays sont intacts. Stabilité politique et sociale. Population de 17 millions d'âmes, souple et dynamique. Richesses naturelles (cuivre et argent, ressources exploitées notamment par des entreprises canadiennes) toujours disponibles. Les efforts devront donc, au cours des trois ou quatre prochaines années, être consacrés à reconstruire, à redémarrer la machine. Or, ce n'était pas le projet de Sebastian Pinera...

Aussi faut-il souhaiter que le nouveau président sera assez souple et dynamique, lui aussi, pour s'adapter à une situation d'exception. Sans compromettre les acquis. Sans verser dans les excès dont, indifféremment, les gauches et les droites latino-américaines se sont historiquement montrées capables.