Québec s'oppose à ce qu'on réglemente davantage certains actes reliés à la procréation assistée, dont le recours aux mères porteuses. Les procureurs de la province plaideront en ce sens devant la Cour suprême vendredi.

Le moment est pourtant venu de débattre du recours aux mères porteuses, un acte illégal, mais pas criminel au Québec.

 

Jusqu'ici, on a beaucoup entendu le point de vue des parents incapables de procréer et de leur «droit» d'avoir un enfant. Ce droit, s'il existe, vient toutefois contredire d'autres droits tout aussi fondamentaux, dont celui des femmes. À ce sujet, le point de vue féministe est incontournable.

Cette position est bien défendue ces jours-ci par la philosophe Sylviane Agacinski, qui a lancé un pavé dans la mare, en France, avec son essai Corps en miettes. Il s'agit d'un parti pris sans équivoque contre ce phénomène des mères porteuses qu'elle décrit comme un esclavage des temps modernes, une pratique qui ramène la femme à l'état de machine à produire des bébés.

Ses arguments doivent être pris en considération.

Contrairement à sa consoeur, Elisabeth Badinter (autre grand nom du féminisme français qui milite en faveur d'un encadrement législatif de ces pratiques, de peur qu'elles ne sombrent dans la clandestinité), Mme Agacinski estime qu'en permettant à une femme de porter un enfant pour un couple, on ouvre la porte à la marchandisation du corps féminin ainsi qu'à une banalisation de la maternité. Elle a raison.

En outre, Sylviane Agacinski dit ne pas croire une seconde à la notion d'altruisme revendiquée par certaines mères porteuses. Loin de verser dans le sentimentalisme (en France, certains lui reprochent d'ailleurs de faire fi du désespoir de ces couples qui ne peuvent avoir d'enfant), elle craint plutôt, et nous partageons ce point de vue que la légalisation de cette pratique ouvre la porte à un commerce où les perdantes seraient inévitablement les femmes les plus démunies. Des femmes qui pourraient en venir à envisager de porter un enfant pour arrondir les fins de mois difficiles. (Au fait, comment établit-on le coût de location d'un utérus pour une période de neuf mois?)

La position de Mme Agasinski est courageuse, car elle va à l'encontre de la tendance, très forte à l'heure actuelle, du syndrome «J'ai le droit de...», «Cela - un enfant, une auto, des vacances - m'est dû» ou encore, «C'est mon choix, qui êtes-vous pour me juger...».

Chez les féministes, la question des mères porteuses est d'autant plus déchirante qu'elles ont toujours revendiqué le droit des femmes à disposer de leur corps (c'est la base de leur position pro-choix en matière d'avortement). Comment réconcilier les deux? La philosophe française soutient que les lois servent parfois à protéger les gens d'eux-mêmes. Soit. Mais cette affirmation, qui infantilise en quelque sorte les femmes, n'est-elle pas antiféministe?

On le voit bien, les nombreuses questions éthiques (il y en a tant d'autres) soulevées par cette pratique sont complexes et méritent qu'on les explore en profondeur. La société québécoise ne pourra pas faire l'économie de ce débat encore bien longtemps.

nathalie.collard@lapresse.ca