«Je souhaite que cette crise économique apporte un profond questionnement et une remise en question sur le sens de nos valeurs et nos priorités», affirmait le dalaï-lama, hier, dans nos pages.

Le chef spirituel des Tibétains n'est pas le seul à souhaiter que l'effondrement des marchés et les déroutes de la société de consommation provoquent une profonde remise en question dans les pays industrialisés. Le 9 juin dernier, à Zagreb, des évêques européens se réunissaient pour discuter de la crise, son aspect moral et l'examen de conscience qu'elle suscite.Une rencontre semblable, à la mi-mai, réunissait une vingtaine de représentants des religions juive, musulmane et chrétienne. Répondant à l'invitation du président de la Commission européenne, ils étaient conviés à une discussion sur la crise et ses impacts et surtout, sur la contribution que pouvaient apporter les différentes religions sur le plan éthique.

À ces leaders religieux se joignent les apôtres de la simplicité volontaire et les environnementalistes, ainsi que tous ces mouvements dits de gauche qui expriment, depuis plusieurs mois, l'espoir de voir un nouveau monde émerger, un monde qui tournerait désormais autour de l'être humain. De nouvelles valeurs émergeraient, des valeurs inspirées par le respect de la planète ainsi que par un plus grand sens critique à l'endroit de cette société de consommation qui nous «inflige des désirs qui nous affligent», pour reprendre les paroles de Souchon.

Mais sommes-nous vraiment à la croisée des chemins? Ou s'agit-il plutôt d'un optimisme passager qui risque de retomber dès que l'économie se relèvera?

On aimerait croire au changement. On aimerait penser que nous sommes comme cet obèse qui a frôlé la mort et qui décide tout à coup de suivre les conseils de son médecin, de se mettre à la course à pied et de mieux (et moins) manger.

Il y a toutefois des signes qui montrent que le patient n'a peut-être pas encore eu sa leçon. On le voit dans cette impatience face à la reprise, dans la façon dont les spécialistes et les observateurs de l'économie scrutent l'horizon, interprétant chaque soubresaut comme un éventuel signe de reprise.

Cette impatience n'a-t-elle pas ses racines dans le même terreau que la course au rendement qui a mené les marchés à leur perte? Les gens profitent-ils vraiment de cette crise pour revoir leurs priorités, ou n'est-ce pas simplement une petite déprime passagère, un temps de pause avant de reprendre la course effrénée? Au fond, tout le monde n'attend-il pas que les choses reviennent comme avant afin de reprendre le rythme de la consommation là où on l'avait laissé?

Certains estiment que la popularité des friperies et des magasins d'objets usagés est une preuve éloquente que les choses ont changé. Ah oui? N'est-ce pas plutôt la preuve que les gens ont absolument besoin de continuer à consommer? On continue d'acheter, à moindre prix. Mais on achète quand même. Bien sûr, on sera plus exigeant, on consommera des produits équitables, des biens dont on connaît l'origine. On conduira des voitures hybrides, on portera des vêtements fabriqués dans des usines où les travailleurs jouissent de bonnes conditions.

En d'autres mots, la crise aura ébranlé quelques certitudes et modifié certains rites, mais la religion de la consommation, elle, demeurera bien vivante.