On parle beaucoup de Jean Drapeau depuis le début de la campagne électorale montréalaise.

Gérald Tremblay s'y réfère lorsqu'il dit vouloir briguer un troisième mandat, un exploit inégalé depuis le règne de M. Drapeau. De son côté, le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron, a cité l'ancien maire en exemple à plusieurs reprises au cours des dernières semaines. Il y a aussi des observateurs qui semblent nostalgiques d'un temps où le maire de Montréal décidait tout, tout seul, dans son bureau de l'hôtel de ville.

Il ne faut pas se laisser aveugler par cet excès de nostalgie. Vrai, le contexte actuel n'est pas sans rappeler celui dans lequel Jean Drapeau est arrivé au pouvoir. Avec Pacifique (Pax) Plante, il voulait «nettoyer» la ville et combattre le vice, la mafia et la corruption (Victor Lévy-Beaulieu a décrit avec brio cette époque dans Montréal PQ).

Cinquante-cinq ans plus tard, nous revoilà face à un hôtel de ville aux prises avec plusieurs scandales, ce qui fait espérer à plusieurs l'avènement d'une sorte de sauveur qui viendrait rétablir l'ordre et la morale. Or on oublie quel genre de maire Jean Drapeau a été: un homme autoritaire et autocrate, pas très versé dans la consultation et la démocratie participative.

L'amnésie passagère de certaines personnes s'explique sans aucun doute par l'absence d'un véritable leader à la mairie. Mais ce n'est pas une raison pour laisser notre sens critique au vestiaire.

Le contexte sociopolitique et économique d'aujourd'hui est fort différent de celui de l'époque de M. Drapeau. Ce maire, qui a fait les beaux jours du caricaturiste Girerd, a régné à une époque bénie pour Montréal, alors que la métropole connaissait un essor économique et territorial, une époque où la plupart des grandes villes se dotaient d'un réseau de transport, d'équipements culturels, etc. Jean Drapeau - comme l'explique Benoit Gignac, l'auteur de l'ouvrage Le maire qui rêvait sa ville, lancé ces jours-ci - a su saisir ce moment unique de l'histoire.

Aujourd'hui, les choses ont bien changé. La destinée de Montréal se joue surtout à... Québec (c'est d'ailleurs la thèse d'un autre ouvrage paru récemment, Une ville sous tutelle, de Luc Hétu). Une des tâches principales du maire de Montréal est donc de convaincre le gouvernement provincial de s'intéresser au développement de sa métropole.

Au fond, cette tentation de vouloir réhabiliter Jean Drapeau montre à quel point les Montréalais sont à la recherche de candidats politiques inspirants. Dans cette volonté de voir émerger un leader plus grand que nature qui saurait extirper Montréal de son marasme, on tend à gommer les dérapages du passé. On confond autoritarisme et leadership. Il vaudrait mieux cesser de regarder dans le rétroviseur. Montréal n'a pas besoin d'une réincarnation de Jean Drapeau, mais plutôt d'un (une) leader moderne, visionnaire, démocrate, capable de travailler en équipe et de projeter la métropole québécoise loin dans le XXIe siècle. Et ce n'est pas dans la section «archives» qu'on trouvera cette perle rare.