Quelle mouche a piqué Élisabeth Badinter? C'est la question qui nous vient à la lecture de son plus récent essai, Le conflit: la femme et la mère. La philosophe française, aux propos habituellement limpides, accouche ici d'un brûlot qui mêle tout et rate sa cible.

Mme Badinter en a contre un mouvement qu'elle nomme naturaliste (sorte de mouvement écolo extrême) qui prône un retour à une maternité plus «nature» qui encourage (force?) les mères à allaiter, à préparer des purées, à faire corps et âme avec leur bébé, bref à tout sacrifier, y compris les acquis féministes des 50 dernières années, pour le bien-être de leur enfant. Provocatrice, elle va même jusqu'à employer une formule-choc «la femme réduite au chimpanzé» pour dénoncer ce «nouveau» modèle d'identité féminine.

 

Mais qui sont ces mères? Où vivent-elles? Mme Badinter demeure vague. Et c'est là la plus grande faiblesse de ce livre qui décrit un phénomène tellement marginal qu'il est pratiquement inexistant.

La maternité décrite par Badinter est une tyrannie qui s'apparente à un esclavage débutant dès la conception et qui oblige (imaginez!) les femmes enceintes à se priver de vin et de tabac durant leur grossesse. Attendez, n'est-ce pas simplement le gros bon sens? Selon Mme Badinter, les mères repoussent leur compagnon du lit conjugal pour laisser la place au bébé, pour qui elles doivent être disponibles en tout temps.

On peut mettre certaines affirmations sur le compte des différences culturelles: en France, la femme doit demeurer en tout temps objet de séduction et la participation des hommes à la vie familiale accuse un certain retard (au moins 10 ans) sur le Québec.

Cela dit, les mères françaises ont accès à un réseau de crèches et un système d'allocations qui les placent, il nous semble, à l'abri du retour aux chaudrons craint par Mme Badinter.

La vérité, c'est qu'il y a un tel décalage entre la réalité des mères et le portrait qu'en fait la philosophe que la lecture de son livre suscite surtout l'incompréhension.

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S'il y a un côté irritant à cet essai, c'est cette obstination à associer l'accomplissement d'une femme à sa réussite professionnelle, comme si travail et famille ne pouvaient cohabiter. Comme si une femme était nécessairement diminuée du fait qu'elle choisit de s'occuper des enfants plutôt que de donner les meilleures années de sa vie au travail. Le féminisme n'est-il pas avant tout une question de choix? Et si oui, alors pourquoi voir le choix de la maternité à temps plein comme un esclavage et celui du travail comme une liberté totale?

Les femmes ne sont pas dupes. Elles savent bien qu'avoir des enfants implique des sacrifices et qu'ils sont plus grands pour elles que pour l'homme qui, nature oblige, ne porte ni n'allaite les enfants. En revanche, elles reconnaissent aussi les bonheurs associés à la vie de famille. Femme, mère, travailleuse, tout est une question d'équilibre. En refermant ce livre, on se dit que finalement, c'est contre le fait d'être femme que Mme Badinter se rebiffe. Triste.