L'auteur est associé chez Ogilvy Renault, aviseur principal auprès de Morgan Stanley et ancien ministre du Commerce international du Canada. Il participe aujourd'hui à la 15e conférence annuelle du Conseil des affaires canado-américaines, qui se tient à Montréal.

Le gouvernement canadien s'inquiète des effets pernicieux des dispositions Buy American qui se trouvent dans le programme d'investissement de 800 milliards de dollars du gouvernement Obama. Récemment, certaines entreprises canadiennes ont signalé avoir été écartées de processus d'appels d'offres pour des contrats découlant de ce programme. Bien que les Canadiens puissent à juste titre s'en plaindre, doivent-ils s'en surprendre?

Le Canada a affronté d'énormes défis pour s'ajuster à l'environnement post-septembre 2001 alors que les États-Unis transformaient la sécurité nationale en enjeu obsessionnel. Nous espérions probablement une dispense de la kyrielle de mesures adoptées par les États-Unis; toutefois, notre quotidien a été marqué par des retards importants à nos postes frontaliers. Ce qui à l'origine s'expliquait par des soucis de sécurité s'est transformé en irritant commercial avec les États-Unis.

 

Malgré tous les efforts déployés par le Canada auprès des instances politiques américaines, nous sommes, semble-t-il, sur un pied d'alerte permanent face au spectre protectionniste américain. Cette tension décuple lors d'élections à la présidence ou même au Congrès. Certains décrient notre dépendance au marché américain et exigent des alternatives. Mais il faut éviter de tomber dans la pensée magique. Les centaines de milliards en produits exportés annuellement aux États-Unis sont le fruit d'un immense réseau de distribution et d'infrastructures qui peut difficilement être reproduit. Bien qu'il soit toujours préférable d'avoir des choix, pour un grand nombre d'exportateurs canadiens, le marché américain demeurera prioritaire, peu importe le nombre de traités de libre-échange que signera le Canada.

Comme les États-Unis représentent son meilleur client, le Canada ne peut se limiter qu'à des entretiens à Washington. Non pas que les nombreuses visites ministérielles ne soient amplement justifiées. La branche exécutive du Canada doit entretenir un dialogue avec le Congrès et la Maison-Blanche. Toutefois, le Canada se faciliterait la tâche s'il déployait autant d'efforts dans les nombreuses communautés aux États-Unis qui profitent du libre-échange avec notre pays. Ces communautés et leurs forces vives pourraient livrer des messages essentiels à Washington et elles sont sous-exploitées.

Plus de 7,5 millions d'Américains dépendent du libre-échange avec le Canada pour gagner leur pain. Pour plus de la moitié des États américains, le Canada constitue le premier marché d'exportation. Qu'il s'agisse des exportations de l'Oregon qui dépassent 2 milliards, des 800 000 emplois californiens maintenus grâce au libre-échange ou des dépenses annuelles de plus de 1 milliard par les touristes canadiens en Floride, nous possédons des arguments importants pour combattre cette perception que le libre-échange ne favorise que le Canada.

Le Canada devrait créer un programme en vertu duquel des ministres procéderaient à plusieurs visites annuelles dans certaines régions importantes des États-Unis. Entre les rencontres avec les gouverneurs, les maires, les chefs d'entreprise et autres personnes-clés, le Canada établirait un message cohérent sur les avantages du libre-échange. Mieux encore, il ajouterait des voix américaines pour s'élever contre le protectionnisme, voix qui sont aujourd'hui à peine audibles dans le débat entourant les dispositions Buy American.

Les bureaux commerciaux qu'opère le Canada dans quelques villes américaines n'ont pas été conçus pour ce travail. Quant à notre ambassadeur, son travail premier consiste à bâtir des liens avec la faune politique à Washington, ce qui nécessite une présence assidue dans la capitale américaine.

Pour nos exportateurs et pour les emplois considérables qu'ils maintiennent au Canada, il est tout aussi important que nos ministres visitent le Wyoming que Winnipeg, Oklahoma City qu'Oakville et Chicago que Chicoutimi. Si le Canada arrivait à s'adjoindre un plus grand nombre d'alliés aux États-Unis, les combats périodiques qu'il livre à Washington pour contrer le protectionnisme en seraient facilités.

Nos adversaires aux États-Unis sont nombreux et n'ont aucune gêne à ériger des barrières commerciales additionnelles. Nous devons les affronter en recrutant leurs concitoyens. La politique est une guerre de terrain et la surface de jeu dans nos batailles épisodiques sur le protectionnisme dépasse Washington.