Chaque année, au moment du solstice d'hiver, là où le soleil est à son plus bas à l'horizon et où la nuit semble vaincre le jour, les Romains avaient l'habitude d'allumer des feux de joie dans tout l'Empire, pour célébrer le solis invecti, la fête du soleil levant, comme s'il s'agissait d'une naissance, celle de la lumière du jour qui prend le dessus sur les ténèbres de la nuit.

Dans l'Antiquité, on déifiait le soleil, à cause de sa lumière et de sa chaleur nécessaires à la vie. Au temps biblique, chez les Israélites, on divinisait le roi, à la place du soleil, et son couronnement était célébré comme une naissance . Son rôle était de rétablir le droit et la justice, et d'assurer la paix et la liberté pour son peuple.

 

Des guerres successives ont eu raison de cette liberté durement acquise, jusqu'au VIe siècle avant notre ère où s'est développé un nouveau judaïsme, qui permettait au peuple d'espérer la venue d'un messie, d'un nouveau roi, de la lignée davidique qui libérerait le peuple de l'oppression étrangère : «Un astre se lève, issu de Jacob, un sceptre se dresse, issu d'Israël» (Nb 24,17a). On personnifia le Dieu soleil au Messie tant attendu: «Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière, sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre une lumière a resplendi « (Is 9,1). Il s'agit toujours de naissance: «Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. La souveraineté est sur ses épaules. On proclame son nom: Merveilleux-Conseiller, Dieu-Fort , Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix» (Is 9,5). Avec ce nouveau roi, doit naître la paix et la liberté.

Pour les premiers chrétiens, le Christ ressuscité réalise pleinement la prophétie d'Isaïe; ce qui a permis à saint Luc, à la fin du Ier siècle, de composer son récit de naissance. Mais ce n'est qu'au IVe siècle que l'Église célèbre cette naissance au moment du solstice d'hiver, pour signifier que le Christ est lumière du monde, soleil des chrétiens. Et s'il naît à travers Marie, l'Église, les chrétiens de tous les temps, par leur témoignage d'amour, de pardon, de paix, de justice, de tolérance, de liberté et d'espérance, ont la responsabilité de le faire renaître.

Le Christ n'a jamais fondé de religion; au contraire, il nous en a libérée. Sa mission a été de nous humaniser et de nous faire espérer. Et si nos sociétés modernes sont devenues réfractaires au fait religieux, ce n'est pas le Christ qu'elles rejettent, mais plutôt les religions qui prétendent le posséder et qui ne cessent de déformer son message. Que l'on soit croyant ou pas, Noël possède une longue tradition de naissance qui traverse toute l'histoire et qui peut s'exprimer encore aujourd'hui à travers le Christ de Pâques. Dans notre monde de violence et de guerre, d'oppression, d'injustices et d'inégalités, dans notre Église où la discrimination, le rejet, la condamnation et l'exclusion sont monnaie courante, peut-on célébrer Noël cette année?

Au premier Noël, saint Luc nous dit que le Christ est venu au monde à l'écart, dans la plus grande pauvreté, dans une mangeoire d'animaux, car il n'y avait pas de place pour lui dans la salle commune (Lc 2,7). Qu'en est-il aujourd'hui? Dans notre société de consommation où l'indifférence et la laïcité ont eu raison des derniers relents de la foi chrétienne, dans notre Église où le droit Canon est plus important que l'Évangile, n'empêchonsnous pas le Christ de naître ? Joyeux Noël !