La pire chose qui puisse arriver dans une société de droit comme la nôtre, c'est qu'une personne affaiblie ou vulnérable se fasse tuer par une personne ou un groupe de personnes détenant plus de pouvoir qu'elle.

C'est ce pouvoir que réclament le Dr Gaétan Barrette, de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, et le Dr Louis Godin, de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, en commission parlementaire. On constate que leurs arguments pour appuyer leurs exigences reposent principalement sur des sondages censés démontrer le support de leurs membres et de l'opinion publique à l'euthanasie.

Or leur utilisation abusive des résultats de ces sondages a déjà fait l'objet d'une dénonciation par plusieurs intervenants, dont un statisticien reconnu de l'Université de Montréal. Mais tout comme ce n'est pas en s'encombrant de finesses et de subtilités qu'ils vont chercher plus d'argent pour leurs membres (et on les remercie!), pas plus ils ne mettent de gants blancs pour réclamer le privilège pour les médecins de ne pas être soumis au Code criminel afin d'euthanasier leurs patients.

L'efficacité ici prime sur la vérité. Mais force est de constater que ces deux négociateurs ne sont pas crédibles dans ce débat lorsqu'ils agissent de la sorte. Ils devraient s'inspirer de leurs collègues du Collège des médecins, et au moins donner l'impression qu'ils ont un peu de respect et de sensibilité envers les gens affaiblis et qui risquent d'être les premières victimes de leurs collègues aussi imprudents qu'eux.

Mais le point le plus important qui semble avoir échappé jusqu'à maintenant à ces chefs syndicaux habitués aux méthodes de négociation et aux politiciens qui les écoutent n'est pas là.

Le point central, c'est que, lorsqu'il est question d'un sujet aussi important que la vie même d'une personne, l'opinion de la majorité ne suffit pas. Car précisément, ce serait alors donner la préséance au groupe (les forts) sur l'individu (le faible).

Le 50% plus un ou encore le 80% d'appui populaire ne suffit pas quand il est question du droit à la vie humaine (et c'est le cas aussi pour la peine de mort), droit tellement structurel qu'on ne peut ni le nier dans le cas d'autrui, ni y renoncer lorsqu'il est question de soi-même. C'est là leur plus grande erreur.

Leur deuxième erreur, c'est de faire de la question de la mort une affaire médicale, alors qu'il s'agit d'une entité infiniment plus grande, qui mérite la plus grande attention et la plus grande prudence, et qu'aucune prétendue «balise» d'exception ne sera jamais en mesure d'assurer.

Affirmer que donner la mort volontairement devrait être un des traitements à la disposition du médecin pour traiter les souffrances d'une personne consciente (équivalent du suicide assisté), ou pire, donner la mort à une personne inconsciente ou non consentante (euthanasie active), n'est à la fin qu'une tentative d'accaparement de pouvoir par la classe médicale. Même si on enrobe ces gestes sous des vocables édifiants ou poétiques du type «soins appropriés de fin de vie», «droit à la mort digne», «dernière petite poussée pour le voyage final». Il faut résister à cette offensive.

En corollaire, ce serait une aberration et une erreur historique que de reléguer le droit à la vie (et à la mort) au ministère de la Santé. Ce n'est pas de son ressort.

Cette commission parlementaire aura été utile si elle aide à clarifier la dangereuse confusion des différents termes employés : d'un côté l'acharnement thérapeutique, l'euthanasie et le suicide assisté (qu'il faut éviter), et de l'autre, l'accès à des soins attentifs, humains, avec un contrôle optimal de la douleur tant physique que morale (qu'il faut favoriser et développer). Les intervenants auprès des personnes en fin de vie vous le diront, les patients entourés de soins et d'authentique attention ne souhaitent pas normalement l'euthanasie, et traversent dignement ce passage, qui finalement fait partie de la vie. Voilà notre réelle tâche comme médecin : humaniser la médecine, dans une attitude humble et disponible qui «aide à vivre».