Laval est une curieuse université. Sur le plan linguistique, il en sort le pire et le meilleur. C'est de ce campus que sont venues les pires entreprises de dégradation de la langue française, et c'est aussi de là que viennent les plus salutaires mises en garde. C'est de Laval qu'est récemment sortie cette lamentable idée de traduire un album de Tintin en joual, comme si les Québécois n'avaient jamais lu Hergé en français! C'est là, en 1991, que deux profs, l'ancien publicitaire Claude Cossette et un directeur de pastorale (!), ont fabriqué une «adaptation» en joual de l'Évangile «à l'intention du milieu culturel québécois» (sic) – un odieux brouillon d'où était expurgée toute référence au sacré et au contexte historique.

Le meilleur, maintenant. Le linguiste Lionel Meney, vient de publier Main basse sur la langue, idéologie et interventionnisme linguistique au Québec (Éditions Liber). Je me suis promis de me le procurer après avoir lu sa longue entrevue avec Antoine Robitaille dans Le Devoir du 22 février.

Ce professeur retraité de Laval n'en est pas à ses premières confrontations avec les tenants du «français d'ici», tous héritiers, à un degré ou à un autre, de feu Léandre Bergeron et de son absurde Dictionnaire de la langue québécoise. Bergeron a fait des petits, diplômés ceux-là.

M. Meney, dans son dernier livre, s'en prend à ceux de ses confrères qui soutiennent qu'«il existe un français québécois standard, homogène, autonome, différent du français européen».

Voilà bien la forme la plus perverse que peut prendre le repli sur soi, cette tare trop répandue chez nous. C'est «le pire des séparatismes», comme le disait si justement Pierre Bourgault. Car cet enfermement à l'écart du reste de la francophonie repose sur une idée fallacieuse qui n'a de cesse d'être démentie par la réalité, et qui voudrait nous faire croire que les Québécois parlent une autre langue que le français international. Certes, le vocabulaire d'ici a des particularités régionales, et il existe plusieurs différences notables dans les accents ou le débit, mais à qui veut-on faire croire qu'un Québécois serait incapable de lire Le Figaro, et un Français incapable de comprendre Christiane Charette?

Comme l'explique M. Meney, la langue familière que l'on parle avec ses proches n'est pas une langue à part. «C'est une variété de français composé d'archaïsmes, de dialectalismes, de néologismes et surtout d'anglicismes.» Mais il n'y a aucune raison d'établir une norme strictement québécoise pour la langue «soutenue», celle que l'on parle en public, celle de l'enseignement et de l'administration.

Dans la foulée du rapport Larose, le réseau des «endogénistes» (néologisme désignant les partisans d'une langue créée à l'intérieur du Québec) s'est étendu... et enrichi à même les fonds publics. À l'Université de Sherbrooke, une équipe planche sur un projet de «dictionnaire du français standard en usage au Québec» prévu pour 2011, projet dans lequel le gouvernement a investi jusqu'à présent 5 millions de dollars.

Dixit son ancienne bienfaitrice, Line Beauchamp, alors aux Affaires culturelles: «Tous les États colonisés par des Européens se sont donné leur propre dictionnaire...» Deux erreurs dans la même phrase! Primo, les Québécois n'ont pas été colonisés par la France, ce sont leurs propres ancêtres qui étaient les colons! Secundo, comme le rappelle M. Meney, de toutes les langues européennes transplantées au Nouveau Monde, le français est la seule dont la majorité des locuteurs sont encore en Europe. Dans ce contexte, toute idée de «norme» exclusivement québécoise est franchement dérisoire.