Au mois d'août 2008, le gouvernement du Canada a tracé un parallèle entre l'attitude de Moscou en Géorgie et la réapparition des vols stratégiques russes tout près de l'espace aérien du Grand Nord canadien. Dès lors, les actions «agressives» de la Russie permettaient de justifier et de démontrer l'importance de la stratégie du gouvernement dans l'Arctique.

Lors de son passage à New York la semaine dernière, le premier ministre a repris ce discours et a fait renaître la perception d'une menace militaire russe dans l'Arctique. Stephen Harper réagissait à la nouvelle selon laquelle un avion militaire russe avait été intercepté tout près de l'espace aérien canadien dans le Grand Nord et cela tout juste avant la venue de Barak Obama à Ottawa.

Certains experts laissent entendre qu'en brandissant cette menace, le premier ministre tente de justifier son plan ambitieux pour le Nord. D'autres affirment qu'il veut détourner l'opinion publique de l'Afghanistan ou que cette nouvelle rhétorique serait motivée par un désir de montrer une bonne volonté à l'égard de Washington en tenant un discours plus sévère à l'encontre de Moscou.

Ces affirmations sont probables, mais depuis quelques années, nous assistons aussi à un changement idéologique au niveau de la politique étrangère du Canada, autant parmi les dirigeants politiques qu'au sein de la population canadienne. Ce virement idéologique, qui veut que le Canada sorte de son prisme traditionnel de puissance moyenne et qu'il adopte une politique plus «musclée» à l'égard des États moins démocratiques, expliquerait d'une part, la prédominance des moyens militaires dans l'Arctique, et d'autre part, le nouveau discours de Stephen Harper à l'égard de Moscou.

Cependant, le retour de la menace militaire russe dans les discours d'une part grandissante d'États occidentaux peut aussi être lié à un réflexe historique. La grande majorité des politiciens ont vécu la Guerre froide et le développement d'une mentalité de bloc rappelant son époque semble gagner du terrain face aux récentes actions de la Russie.

La situation actuelle est toutefois loin d'être similaire à celle qui prévalait avant la chute du mur de Berlin. Dans ce nouveau contexte, la rhétorique rappelant l'époque de la Guerre Froide est potentiellement néfaste pour la coopération et pour la mise en place éventuelle d'une bonne gouvernance dans l'Arctique.

Pour une diplomatie directe

Démocratique ou non, la Russie fait désormais partie du système de marché global et elle est devenue, comme pour la majorité des États du monde, dépendante de ce système. Contrairement à l'époque de la Guerre froide, les intérêts économiques, politiques et sociaux de la Russie dépendent aussi de la stabilité de ses relations avec les autres.

Au niveau de l'Arctique, tous les États côtiers devront coopérer avec elle pour faire avancer leurs intérêts. À cet égard, le Canada n'est pas épargné, car pour développer son Grand Nord, il a besoin d'instaurer une bonne gouvernance multilatérale. Si la rhétorique et les réflexes de la Guerre froide deviennent choses communes, les relations avec la Russie seront tendus et difficiles, et cela pourrait nuire au développement économique de la région, ainsi qu'à sa saine gestion environnementale. Il ne faut pas oublier qu'en termes de capacités et de moyens, la Russie est la superpuissance de l'Arctique, et qu'à l'heure actuelle, la région n'est pas une priorité pour les États-Unis.

En effet, les Américains ont un agenda chargé et le Grand Nord ne figure pas pour l'instant parmi sa liste de priorité. Par contre, si toute menace à la sécurité nationale des États-Unis est considérée comme une menace à la sécurité nationale du Canada, et que l'administration Obama entend mener une diplomatie directe avec ses adversaires pour améliorer sa sécurité, logiquement, le Canada devrait en faire autant de son côté.

Ceci étant dit, une offensive diplomatique directe de haut niveau du Canada en Russie serait de mise pour améliorer sa propre sécurité et celle de l'Amérique du Nord. L'offensive diplomatique au Kremlin pourrait permettre de diminuer les perceptions de menace dans l'Arctique en renforçant le dialogue et la coopération économique avec les Russes et en tentant de mettre en place un bon système de gouvernance multilatéral dans le Grand Nord.

Le ministre des Affaires étrangères et du commerce internationale du Canada, Lawrence Cannon, devrait rencontrer son homologue russe très prochainement. Cette rencontre est importante, car c'est d'abord et avant tout, une occasion exceptionnelle pour permettre au gouvernement du Canada de changer de discours et d'entamer une nouvelle ère diplomatique en Russie.

L'auteur est étudiant à la maîtrise en science politique à l'Université de Montréal. Il a reçu une bourse d'étude de 3e cycle s'intitulant «Le Rôle du Canada dans le monde circumpolaire», octroyée par l'Université de l'Arctique, le ministère des Affaires étrangères et du commerce international du Canada, ainsi que l'Université de la Saskatchewan.