La production industrielle et les exportations asiatiques sont durement touchées par la récession mondiale. Le Japon, dont le modèle d'industrialisation a toujours accordé une place stratégique aux exportations, se dirige, pour l'année fiscale 2008 (qui se termine le 31 mars), vers un premier déficit commercial en 28 ans. Alors qu'en moyenne depuis 2002, le surplus commercial avoisinait 100 milliards $US par année, Tokyo envisage un déficit d'environ un milliard dans le cadre d'une contraction économique historique.

Même au cours de la « décennie perdue » alors que la croissance stagnait à 1%, le Japon n'a jamais eu à souffrir d'une baisse de ses exportations qui sont, à 97,5%, des produits manufacturés. Il est touché dans ses secteurs stratégiques à forte valeur ajoutée: l'automobile, l'électronique, la machinerie et l'acier. La crise s'attaque au coeur industriel du Japon. Le même sort attend la Corée du Sud qui a une structure industrielle très similaire à celle de ce pays.La récession mondiale se répercute également sur le reste de l'Asie. Et ce n'est guère surprenant. Depuis le début du siècle, la croissance économique mondiale repose notamment sur la forte production asiatique et la surconsommation américaine, bref sur un déséquilibre commercial mondial.

Les exportations de Taiwan, de Singapour et de la Corée du Sud sont en chute libre (une baisse moyenne de 37% en janvier seulement). Selon plusieurs observateurs, il n'est plus possible de croire que la Chine sera épargnée par la crise et dans le pire cas, elle pourrait faire l'expérience d'une contraction de son PIB.

Si les pays asiatiques veulent émerger de cette crise sans mettre la clé à leurs installations industrielles, ils devront lever les nombreux obstacles structurels à la consommation qui favorisent une épargne surabondante et une dépendance aux exportations.

Alors, est-il possible que les échanges commerciaux entre l'Asie et les États-Unis se rapprochent d'un point d'équilibre? L'Asie compte pour 45% du déficit commercial américain, soit plus de 300 milliards de produits manufacturés principalement. La crise financière aura alors réussi ce que les pressions politiques de l'administration américaine, de Reagan à Clinton, n'ont pu faire : forcer les Asiatiques à consommer.

Ironiquement, c'est grâce à l'ineptie économique de l'administration de G.W. Bush, qui n'accordait que peu d'importance au déficit commercial global des États-Unis, que cet objectif sera atteint. L'Asie pourra-t-elle garder le titre d'usine de la planète? D'autant plus que le président Barack Obama a exprimé son désir de reconstruire les capacités manufacturières des États-Unis.

L'économie mondiale est dans une récession dont l'importance ne permet aucunement d'envisager un retour à la croissance sans qu'il se produise une rupture structurelle avec les fondamentaux d'avant-crise, en particulier pour les États-Unis et l'Asie, ce qui explique l'incapacité du G20 ce week-end dernier de s'entendre sur un plan de relance économique global.

À long terme, trois scénarios de reprise sont possibles : premièrement, une renaissance industrielle des États-Unis ou, deuxièmement, un bond industriel qualitatif et quantitatif de la Chine l'amenant aux portes de l'hégémonie mondiale. Ici, la réalisation d'un scénario exige l'échec de l'autre et un bouleversement de la distribution des capacités mondiales de production. Ils sont peu probables.

En revanche, un troisième scénario propose l'atténuation du déséquilibre commercial mondial en tablant sur un affaiblissement industriel du Japon, une hausse de la consommation chinoise et le renforcement de l'intégration économique régionale, non seulement en Asie, mais aussi dans les Amériques pour contrer la baisse des relations commerciales interrégionales.

Mais la récession donnera un coup de grâce à l'industrie japonaise. Il est fort probable que la Chine en sortira renforcée, car elle possède un marché intérieur au potentiel quasi illimité alors que le marché japonais est saturé dans un contexte particulier de vieillissement et de déclin démographiques. La Chine peut hausser sa consommation intérieure en attendant le redressement de l'économie américaine, mais les firmes japonaises devront accélérer le transfert de leurs capacités vers l'Asie pour maintenir leur compétitivité et leurs parts de marché.

Pour maintenir la croissance, les consommateurs asiatiques devront se substituer aux consommateurs américains, réduisant ainsi la dépendance de leur pays aux exportations, à l'épargne et aux devises étrangères, car même une fois la consommation relancée aux États-Unis, l'administration Obama s'attellera ensuite à la résorption du déficit budgétaire, diminuant conséquemment leur propre dépendance à l'épargne asiatique.

L'auteur est chercheur associé au Centre d'études sur l'intégration et la mondialisation (CEIM) de l'Université du Québec à Montréal.