J'habite le Red Light, cet îlot charnière entre l'est et l'ouest, le sud et le nord, à la frontière de Chinatown, et j'aime ce quartier populaire organisé autour du mouvement des passants aux origines diverses.

J'ai participé aux différentes consultations et présentations du quadrilatère Saint-Laurent, où je n'ai rien entendu sur ce tissu humain. Il s'agissait d'imposer dans les plus brefs délais une tour à bureaux, qui n'animera pas plus le quartier que sa jumelle sur René-Lévesque. Un immeuble qui se remplit le matin et se vide le soir à l'opposé du rythme de ce quartier et de celui des spectacles qui s'anime la nuit. À ce carrefour encore vivant, ce paquebot désert dans l'obscurité arrive avec son obligation d'éradiquer, pour cause de standing les cultures marginales aux alentours, tout ce qui fait le charme de mon quartier bohème.

Soyons positifs, même s'il s'agit des simples réflexions d'un flâneur solitaire, amoureux de Montréal, qui constate la disparition progressive des stationnements en îlots d'habitation. Dans le quartier, avec la construction de l'Opéra et celle du CHUM, l'immobilier se porte bien, alors pourquoi ne pas faire un immeuble d'habitation, animé le jour et la nuit avec ses commerces de voisinage, une architecture mobile de 4 ou 5 étages de condos avec au sommet des ateliers d'artistes ? Des appartements que ne boudera pas la bourgeoisie bohème. Une belle occasion d'expérimenter une création futuriste avec des formes originales ce dont semblent manquer cruellement Montréal. Une construction qui respecte à la fois l'histoire de la métropole et son mouvement en l'intégrant à l'esprit du quartier. Un quartier qui demeure à préserver et donc qui doit être habité.

Et le flâneur se prend à rêver. Le club Cléopâtre au rez-de-chaussée, où se rencontrent danseuses érotiques et cow-boys urbains, pourrait être voisin d'une salle de danse contemporaine, dont la tendance dominante est largement transgressive, sexe et corps mêlés. Au premier étage, où se tiennent les messes occultes qui rassemblent fétichistes, travestis et autres minorités érotiques, une galerie photos orientée dans la même direction, pourrait servir de décor et de commerce.

À côté du Montréal Pool Room avec ses fameux hot-dogs, un chef bien inspiré pourrait ouvrir un restaurant avec poutine au caviar ou au foie gras. La culture devrait-elle être exclusivement labelisée? Pourquoi les spectacles populaires devraient-ils disparaître ? La culture n'est-elle pas cet espace d'échanges où se rejoignent parfois les contraires sans qu'ils aient à s'exclure?

Prenons soin à respecter cet ancrage populaire du quartier des spectacles, avant qu'il ne dérive, au fil des ans en ghetto culturel de la Société du spectacle. Nous souhaitons pour l'épicentre de Montréal, une construction vivante, 24 heures sur 24, capable d'intégrer les différences urbaines plutôt que de les éliminer, une création architecturale du XXIe plutôt que de la fin du XXe .

L'auteur est psychiatre et professeur adjoint à l'Université McGill.