Dans la foulée de la panique qui s'est emparée des marchés financiers américains, on entend des appels croissants à un besoin de réglementer davantage le marché, la finance et les banques. Qui plus est, des intervenants crient (encore) à l'échec du capitalisme. Ces appels sont pourtant familiers et il importe, comme en toutes circonstances, de dissocier les discours populistes des véritables enjeux.

Il est au départ contre-intuitif de croire que la chute de l'économie repose sur l'idée que les meilleurs financiers du monde ont soudainement tous perdu leur capacité de compter, envoûtés par l'appât du gain. Il semble en fait y avoir autre chose que le marché, ce suspect de convenance par excellence, dont le rôle mériterait d'être réexaminé dans les événements qui ont mené à la chute de Wall Street.

 

En premier lieu, la Réserve fédérale a tenté, au cours des dernières années, d'éviter une récession en facilitant le crédit et en abaissant les taux d'intérêt. Cette politique a manifestement contribué à la formation de la bulle spéculative immobilière qui a finalement rendu l'âme. Le marché n'a rien à voir avec ces politiques inflationnistes qui biaisent la valeur des capitaux. Quant aux banques, elles ont une aversion naturelle au risque et ne prêtent pas de bon coeur à des emprunteurs peu susceptibles de rembourser. Que s'est-il passé?

Fannie Mae tire son origine de politiques datant du New Deal dont l'objectif était de faciliter l'accès à la propriété. Freddie Mac a fait son apparition quelques décennies plus tard. Ces deux entités semi-publiques sont au coeur des récents événements.

Le Community Reinvestment Act se juxtapose à leurs activités. Cette loi progressiste de l'ère Carter, à l'effet d'encourager l'accès à la propriété des minorités défavorisées, a été radicalisée par l'administration Clinton à la fin des années 90 pour forcer les banques à consentir des hypothèques à des ménages dont les dossiers de crédit ne se qualifiaient pas (»subprime loans»). Fannie Mae et Freddie Mac avaient pour mandat de racheter ces prêts risqués et émettaient des titres garantis par ces mêmes prêts (papiers commerciaux adossés à des actifs - PCAA), avec une caution implicite de Washington.

Valeur à la hausse

Cette mécanique a fonctionné un bon moment, tant que la valeur des maisons était à la hausse, poussée par une demande artificiellement élevée. Lorsque l'immobilier a fini par s'essouffler, des prêts en défaut ne pouvaient plus être remboursés par la revente des maisons grevées, les PCAA liés à ces prêts ont perdu leur valeur, et les dominos se sont ainsi mis à tomber sous l'impulsion de certaines règles comptables. ()

Certes, d'autres facteurs ont amplifié la débâcle. Parmi eux, il est vrai que des bonis exagérés ont été versés à des dirigeants sous l'oeil désintéressé d'actionnaires institutionnels complaisants, tandis que plusieurs prêteurs ont profité de la hausse de la valeur des maisons pour consentir davantage de crédit, ajoutant au problème. Mais sans les garanties et politiques publiques qui ont dirigé des capitaux excédentaires vers le marché immobilier, cette fête n'aurait peut-être pas eu lieu.

En s'attardant à blâmer le capitalisme et à exiger de nouveaux règlements pour rendre le marché plus sécuritaire, on semble ignorer des défaillances plus importantes, surtout lorsque le marché est forcé de prendre des risques qu'il ne prendrait pas s'il était laissé à lui-même. ()

Le capitalisme a habituellement pour fonction d'éliminer les modèles d'affaires voués à l'échec et de préserver les meilleurs, créant ainsi le progrès et la prospérité sur un horizon à long terme. Or, le plan de sauvetage de l'administration Bush qui a été rejeté hier ne s'inscrivait pas dans cette avenue et c'est le contribuable américain qui aurait été à nouveau appelé à payer la note, tout comme il était destiné à supporter les problèmes de Fannie Mae et de Freddie Mac. Solution miracle ou échéance repoussée de pires temps à venir? Permettons-nous d'entretenir des réserves tout en souhaitant pour le mieux.

L'auteur est avocat en droit corporatif et en valeurs mobilières. Il pratique dans le domaine des institutions financières.