Pauline Marois n'avoue qu'une faible partie des décisions qui ont sapé les bases de notre système de santé et elle prend soin de ne retenir que celles qui ne démontrent pas d'une manière flagrante son manque de vision au moment où elle était en poste, soit à titre de ministre de l'Éducation, de la Santé et des Services sociaux ou encore des Finances.

Le vendredi 21 novembre 1997, les recteurs et présidents des universités québécoises étaient convoqués d'urgence au bureau de la ministre de l'Éducation du temps pour discuter d'une question à laquelle elle accordait une grande importance. Elle accueillit ses invités à 8h pour régler rien de moins que le problème du surplus d'infirmières. À l'époque, le gouvernement de Lucien Bouchard poursuivait son objectif du déficit zéro. Les universités, malgré leur sous-financement avéré, étaient lourdement mises à contribution. Le système de santé payait aussi une note élevée alors que la ministre préconisait la mise à la retraite de médecins, d'infirmières et d'auxiliaires. Cette politique avait d'ailleurs été mise de l'avant sans analyses démographiques, de telle sorte qu'on assistait à une planification hautement fantaisiste des ressources. (...)

 

L'accueil de Mme Marois lors de cette séance de travail fut d'abord cordial. La ministre était entourée de fonctionnaires des deux ministères impliqués, soit celui de l'Éducation et celui de la Santé. Au grand étonnement des recteurs et principaux, Mme la ministre ouvre la séance en affirmant qu'elle juge qu'il y a trop d'infirmières au Québec et qu'en conséquence, elle demande aux universités qui offrent ces programmes de formation initiale en nursing d'en fermer les admissions. Stupéfaction chez ses interlocuteurs! Posément, le président de la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CREPUQ) lui fait observer qu'il y a un coût élevé pour les universités à prendre une telle mesure et il rappelle qu'en vertu de leur autonomie, elles demeurent responsables des décisions sur le contingentement dans les programmes agréés qu'elles dispensent.

Abus de pouvoir

Le ton de la ministre se transforme aussitôt et elle fait remarquer à ses interlocuteurs qu'elle est aussi responsable de l'accréditation des futures infirmières et qu'en vertu du Code des professions, le diplôme d'accès à la pratique est le DEC en techniques infirmières offert par les collèges, ou un diplôme équivalent. Nonobstant le fait que les nouvelles infirmières formées dans les universités devaient posséder une qualification professionnelle supérieure à cette exigence de base, elle indique sans équivoque qu'elle n'hésiterait pas à utiliser son droit d'intervention en la matière pour rendre l'accès au marché du travail impossible pour les nouvelles bachelières... Elle les contraindrait à retourner au cégep pour un complément de formation!!! Les universités concernées n'avaient plus le choix: elles devaient obtempérer, même si elles jugeaient qu'il y avait là abus de pouvoir de la part de la ministre. En effet, il aurait été contraire à l'éthique d'engager des étudiantes dans une filière de formation qui aurait abouti à un cul-de-sac.

Les candidates qui, à l'époque, auraient pu être admises dans l'un de ces quatre programmes, n'auraient pas 70 ans, bien sûr. Elles compteraient parmi les effectifs qui aujourd'hui contribuent au fonctionnement de notre système de santé. C'est à propos de telles décisions malheureuses que Mme Marois doit s'expliquer plutôt que de se targuer d'avoir agi avec courage et vision dans le règlement d'une situation financière difficile.

Cela est d'autant plus vrai que Mme Marois, passée peu de temps après au ministère de la Santé et des Services sociaux, avait elle-même lancé un cri d'alarme sur la pénurie d'infirmières, démontrant par là que les périls que faisaient courir au système de santé québécois la politique malheureuse de tarir le bassin de ressources étaient connus du ministère. On sait aussi que Mme Marois, non contente de cumuler ces bourdes administratives, devait quelque temps plus tard, titulaire du ministère des Finances, refuser des ressources financières aux universités québécoises pour qu'elles réactivent la formation en sciences infirmières, même s'il était dès lors clair qu'il y avait pénurie.

Bref, Jean Charest touche juste lorsqu'il impute à Pauline Marois une lourde responsabilité dans l'état actuel du système de santé québécois. (...)

A. Plamondon, Jacques

Ancien recteur de l'UQAH et de l'UQTR, l'auteur est professeur associé à l'ENAP.