Il fallait s'y attendre. À peine les résultats proclamés que de savants analystes, les mêmes qui ne prévoyaient qu'une seule chaude lutte à Montréal (Crémazie), nous fournissent leurs explications en trompe-l'oeil.

La victoire d'Amir Khadir, cette surprise, serait un accident attribuable entre autres à la faiblesse du taux de participation, voire un épiphénomène propre à cette étrange sociologie du Plateau Mont-Royal. Après le mystère conservateur de Québec, nous voilà doté d'un autre gadget du prêt-à-penser: l'unicité des étranges habitants de la non moins bizarre république de Mercier.

Certes, cette circonscription possède sa sociologie propre. Plus jeune et très nettement plus scolarisée que la moyenne nationale, la population de Mercier présente toutefois un revenu médian qui n'est que très légèrement supérieur à la moyenne, tout en présentant néanmoins d'importants secteurs de pauvreté. S'il est exact d'affirmer que cette circonscription compte un grand nombre de travailleurs de la culture, plusieurs s'empressent de conclure au caractère radicalement atypique de cette population et de l'étrangeté de son vote. Comme une façon subtile de délégitimer un choix. «Vous savez... les artistes, ces pelleteux de nuages...»

Par ailleurs, la thèse de l'accident purement circonstanciel ne tient pas la route lorsqu'on examine les résultats de cette circonscription depuis le score remarquable de Paul Cliche, en avril 2001, coalisant l'ensemble des forces de gauche et préfigurant son unification en voie de réalisation. On peut même remonter au score du minuscule mais courageux PDS, en 1998, pour constater le net enracinement des valeurs et des thèses de la gauche souverainiste dans cette circonscription au fil des scrutins. Ce vote est d'abord un vote d'adhésion aux valeurs de Québec solidaire.

Voter pour le bon docteur?

D'autres attribuent l'essentiel du résultat au seul succès personnel du candidat. On louange ses indiscutables qualités de communicateur politique, son aura professionnel, son charisme, etc. Nul doute que tout cela a influé sur le résultat mais n'est-ce pas une autre façon de discréditer une victoire que de la personnaliser à outrance? Bref, s'il y a un certain vote d'estime autour de la candidature de M. Khadir, il faut se garder d'en exagérer l'importance. Ce type d'analyse, très people, passe à la trappe les progressions enregistrées par d'autres candidatures, dont celle de Françoise David, la coporte-parole de Québec solidaire dans un contexte beaucoup plus difficile. Cette vision glamour de la politique ignore également l'importance du travail de terrain où les candidats, enracinés dans leur milieu, tendent l'oreille aux préoccupations concrètes des gens et se font leur porte-parole. Qui a relevé qu'Amir réclamait plus de médecins pour le CLSC de son quartier? Comme professionnel de la santé, Amir s'est fait surtout connaître pour la farouche opposition de son parti à la privatisation du secteur de la santé. (...)

S'il faut accoler une étiquette à la victoire de Québec solidaire, c'est bien celle de la pugnacité des équipes militantes qui ont su labourer au bon endroit et en profondeur depuis une dizaine d'années. Cette victoire c'est d'abord la leur et ils sauront bien trouver le moyen de transformer cette circonscription en véritable bastion de la gauche. Non pour s'y enfermer, mais pour rayonner et essaimer afin de contribuer à créer deux, trois plusieurs Mercier. C'est ainsi que l'accidentel épiphénomène apparaîtra pour ce qu'il est vraiment: un premier signe avant-coureur d'une montée de la gauche politique en cette période de crise du néolibéralisme et de ses douloureuses recettes.

Josée Vannasse Et François Cyr

Les auteurs sont membres de Québec solidaire et étaient codirecteurs de la campagne d'Amir Khadir dans Mercier.