Comment expliquer la nomination de Pierre Corbeil au poste de ministre responsable des Affaires autochtones? Quand on sait que les Premières Nations avaient milité, avant la formation du Conseil des ministres, pour que les responsabilités des Affaires autochtones demeurent dans les mains du premier ministre; quand on sait que Pierre Corbeil a été ministre des Ressources naturelles et, qu'à ce titre, il a ignoré, voire répudié, les droits des Premières Nations dans la gestion des ressources; quand on sait qu'à titre de député d'Abitibi-Est, Pierre Corbeil a eu des relations plutôt acrimonieuses avec les communautés algonquines de sa région; et quand on sait qu'en étant élu à nouveau député cette année, il a défait le seul et premier député autochtone de l'histoire du Québec (Alexis Wawanoloath). Deux seules raisons peuvent expliquer la décision du premier ministre: Jean Charest est complètement déconnecté de la situation des Premières Nations, ou il s'en fout complètement.

Peu importe la raison qui a motivé la nomination de Pierre Corbeil, le résultat est le même. En nommant Pierre Corbeil, Jean Charest vient de déclarer la guerre aux Premières Nations.

Surtout, cette nomination est en contradiction directe avec l'histoire des relations entre le Québec et les Premières Nations depuis le premier gouvernement de René Lévesque. Quand ce dernier a créé le Secrétariat des activités gouvernementales en milieu amérindien (SAGMAI), aujourd'hui le Secrétariat aux Affaires autochtones (SAA), l'idée était d'établir entre le Québec et les peuples autochtones des relations de nation à nation.

René Lévesque

C'est dans cet esprit que René Lévesque a fait adopter, en 1985, une motion par l'Assemblée nationale qui reconnaît le statut de «nations» aux peuples autochtones et qui presse le gouvernement de négocier avec eux des ententes qui reconnaissent leurs droits ancestraux. Pendant plusieurs années, les responsabilités sont demeurées dans les mains du premier ministre. Même quand il y a eu nomination de ministres, il s'agissait de ministres délégués, le premier ministre demeurant le véritable ministre responsable des Affaires autochtones. La nuance n'est pas mineure, elle est fondamentale.

Depuis 1985, le gouvernement du Québec n'a pas réussi à répondre adéquatement aux engagements de la Motion et à la vision de René Lévesque (à l'exception de la conclusion de l'entente Paix des Braves avec les Cris). Aujourd'hui, les Premières Nations réclament la fin du statu quo. Récemment, question de forcer le jeu, elles ont annoncé qu'elles envisageaient l'adoption de mesures unilatérales de souveraineté (les Premières Nations au Québec n'ont jamais été conquises et n'ont jamais signé de traités de cession, contrairement aux Premières Nations dans les autres provinces).

Il y a donc une certaine urgence pour le gouvernement du Québec de revoir sa relation avec les Premières Nations. Ce que le gouvernement doit absolument éviter, c'est de ne pas prendre au sérieux les avertissements récents des Premières Nations. Jean Charest vient de faire pire. Non seulement a-t-il choisi de ne pas prendre au sérieux les Premières Nations, il les a littéralement insultées, ce qui revient à leur déclarer la guerre.

Cardinal, Éric

Spécialiste des affaires autochtones, l'auteur enseigne le droit des Autochtones à l'UQAM et est coordonnateur du projet de recherche «Peuples autochtones et gouvernance». Il agit également à titre de consultant auprès des Premières Nations.