Le panel d'experts mandaté par le gouvernement fédéral recommande la création d'une commission des valeurs mobilières nationale, d'une instance de gouvernance qui chapeauterait cette commission et d'un tribunal qui traiterait les plaintes et autres réclamations émanant des investisseurs. Les gouvernements du Québec et de l'Alberta ont réagi contre ce projet. Qui a raison?

À mon avis, pour prendre position, il faut considérer quatre questions: 1) Pourquoi réglementer les marchés financiers? 2) Quels sont les intérêts des investisseurs et des entreprises? 3) Le système actuel de réglementation est-il efficace, efficient et économique? 4) Que nous révèle l'expérience d'autres pays?

Premièrement, la réglementation vise essentiellement deux objectifs. D'une part, s'assurer que tous les investisseurs sont traités équitablement et ont accès à de l'information pertinente et fiable qui leur permet d'investir leur capital de manière éclairée et en toute confiance. D'autre part, faciliter l'allocation optimale des ressources financières dans notre économie en permettant aux entreprises performantes ou avec des projets intéressants d'obtenir des capitaux à un coût compétitif.

Deuxièmement, si la réglementation n'atteint pas ces objectifs, tant les investisseurs que les entreprises migreront vers les marchés étrangers. Un système qui ne protège pas les épargnes des investisseurs les fait fuir, augmente le coût de financement pour les entreprises performantes et honnêtes, et permet aux escrocs de tout acabit d'agir en toute impunité, minant ainsi encore plus la confiance.

Troisièmement, l'efficacité du système actuel est problématique. Les cas d'incurie sont trop nombreux pour que l'on puisse tous les nommer. La mise en oeuvre et l'application des réglementations sont également perfectibles. On n'a qu'à penser au cas Livent, dont le procès a eu lieu cette année, plus de 10 ans après la présumée fraude; à Nortel Networks, dont on attend toujours le procès pour fraude des dirigeants, plus de six ans après le début des manipulations dont ils sont accusés; aux cas CINAR, Bre-X, Mount Real, YBM, Norbourg, etc. où les investisseurs ont perdu des milliards de dollars. Ces cas s'ajoutent aux nombreuses instances documentées de rapports financiers ne respectant pas certaines normes comptables (sans conséquences sérieuses pour les firmes fautives), au non-respect des règles concernant les transactions d'initiés toujours sans conséquence matérielles, à l'absence presque complète d'interventions concernant l'antidatage des options octroyées aux dirigeants (sauf le cas de Research in Motion, réglé à coût fort modique pour les principaux intéressés), et ainsi de suite.

Efficience

Quant à l'efficience, la fragmentation du système canadien en 13 commissions, avec chacune son président, ses vice-présidents, etc., dilue les ressources financières et humaines. Cette situation empêche la création de masses critiques d'expertise nécessaires pour le suivi d'instruments financiers, de transactions, d'états financiers et de gouvernance sans cesse plus complexes. Plus de ressources aux enquêtes et aux opérations et moins à l'infrastructure administrative!

Qu'un tel système ait perduré aussi longtemps a fait l'affaire de plusieurs parties, mais n'a sûrement pas protégé les intérêts des investisseurs et des entreprises performantes dirigées par des dirigeants honnêtes, lesquels ont eu à supporter un coût économique additionnel.

Enfin, il est vrai que tous les pays développés ont une instance nationale de réglementation des valeurs mobilières, laquelle risque d'être plus efficace lorsque des litiges ou fraudes impliquent des entreprises ayant des activités dans plusieurs pays. Une instance nationale facilite également la coordination internationale, les événements récents ayant montré que les marchés financiers nationaux sont maintenant intégrés dans un vaste marché global.

Toutefois, l'expérience de la Securities & Exchange Commission montre qu'une instance unique a ses limites: plusieurs cas récents de malversation ou fraude n'émanent pas de la SEC mais bien des ministres de la Justice d'États comme New York ou Illinois. Une tension réglementaire est souhaitable, ce qui pourra être le cas avec le tribunal ainsi que l'organisme de surveillance proposés s'ils ont des pouvoirs adéquats. Par contre, l'organisme national risque plus d'avoir la stature et les pouvoirs nécessaires pour faire contrepoids aux géants qui évoluent dans nos marchés financiers et aux fraudes ou autres situations ayant des ramifications complexes et internationales (par exemple, Hollinger, crise du papier commercial). Enfin, un organisme national devra garder des antennes sur le terrain pour suivre efficacement l'évolution des affaires des entreprises qu'il est sensé surveiller.

Soixante-quinze ans après la création de la SEC, il est peut-être temps que le Canada emprunte la même voie!

L'auteur est titulaire de la chaire Lawrence Bloomberg de l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia.