La crise financière mondiale et la menace croissante d'une récession touchant le Canada ont finalement mis un terme à plus d'une décennie de budgets équilibrés à Ottawa. Nul doute que de nombreux ménages canadiens vivent les conséquences concrètes de la crise financière (dégonflement des épargnes) et de la récession américaine (pertes d'emplois).

Or, plusieurs économistes restent d'avis que le Canada sera moins affecté que son voisin du Sud par la tempête qui fait rage. La profondeur de la récession appréhendée demeure moindre que celle des deux précédentes au Canada et le taux de chômage, à 6,1% en 2008, se maintient près de son bas historique.

 

L'ampleur réelle de la crise tranche nettement avec les manchettes des médias. Comment peut-on parler sans broncher de l'économie américaine ou canadienne comme d'une «économie en ruines»? Étonnant vocabulaire alors que nos économies se maintiennent à des niveaux de richesse auxquels la quasi-totalité des pays ne pourront même jamais rêver.

Dans un tel contexte, il n'est donc pas surprenant que les attentes des citoyens envers les politiciens canadiens soient très élevées. Et ils ont réagi en conséquence. Le gouvernement Harper annonçait hier un déficit de 34 milliards de dollars en 2009-2010 pour faire face à la crise, en rupture complète avec l'approche fédérale depuis plus d'une décennie.

La croissance marquée des dépenses de l'État, combinée à une baisse de ses revenus, se traduira par une série de déficits totalisant 85 milliards en six ans. Plusieurs éléments de ce budget risquent de replonger le Canada en déficit structurel, notamment la hausse des dépenses courantes (excluant les infrastructures) et les réductions d'impôts permanentes annoncées hier.

Compte tenu du freinage brusque de la croissance des revenus du gouvernement, un déficit était inévitable. Il est par ailleurs clair que l'économie canadienne demande à être stimulée, même s'il nous sera toujours impossible de compenser entièrement la demande extérieure dont nous sommes grandement dépendants.

Surenchère politique

Dans le contexte politique particulier du Canada, il existe toutefois un risque réel que la surenchère politique l'emporte sur les motivations économiques rationnelles. Avec un gouvernement minoritaire menacé de renversement par une coalition de centre-gauche, la tentation est grande d'en faire plus que le client en demande!

S'il peut atténuer les effets d'une récession à court terme, un plan de relance d'une telle ampleur risque d'hypothéquer l'économie canadienne à long terme. C'est lors de la profonde récession du début des années 80 que la situation budgétaire du gouvernement canadien, en déficit structurel au début de la récession, s'était transformée en spirale déficitaire. On connaît aujourd'hui les effets néfastes que cette spirale a entraînés, avec au premier chef une réduction dramatique de la capacité d'action du gouvernement fédéral pour plus d'une décennie.

Tout en répondant adéquatement aux impératifs du ralentissement économique actuel, les gouvernements doivent donc agir avec prudence. Il n'y a présentement aucune assurance que les déficits prévus par Ottawa seront éventuellement compensés par des surplus. Nous sommes d'avis que les mesures de relance devraient être accompagnées d'un mécanisme législatif, par exemple une loi sur l'équilibre budgétaire semblable à la loi québécoise, visant à préserver les acquis d'une décennie de surplus budgétaires. Car il y aura une vie après la crise.

M. Joanis est professeur du département d'économique de l'Université de Sherbrooke, CIRANO et GRÉDI. M. Montmarquette est professeur émérite de l'Université de Montréal, CIRANO.