Onne tape pas sur nos sociétés d'État sans que cela ait des conséquences profondes sur leurs opérations, sur le moral des troupes et sur leur capacité à retenir et à attirer du personnel de qualité ou même des administrateurs. Aujourd'hui, c'est la Caisse de dépôt qui est au pilori; hier, c'était Hydro-Québec, la SGF, la SAQ. Si certaines critiques sont à propos, pourrait-on néanmoins s'élever un peu au-dessus de la mêlée? Il y a des problèmes de fond à examiner, mais le climat partisan et médiatique rend difficile un examen serein et sérieux de situations fort complexes.

Le 14 décembre 2006, l'Assemblée nationale a adopté la Loi sur la gouvernance des sociétés d'État qui s'applique notamment à Hydro-Québec, Investissement Québec et la Société générale de financement. Ce fut un avancement important en matière de gouvernance des sociétés d'État. Pour contrer l'ingérence politique, le gouvernement a dilué le leadership de l'État dans ses sociétés en nommant sur les conseils essentiellement des administrateurs indépendants. Ainsi, avant la réforme, le sous-ministre des Finances siégeait au conseil de la Caisse de dépôt, comme le sous-ministre de l'Énergie était à la table d'Hydro-Québec. Quels que soient le dévouement et les compétences des administrateurs indépendants, ils peuvent difficilement être aussi sensibles aux enjeux d'un gouvernement qui répond devant un parlement et qui a la responsabilité de diriger l'État.

 

L'équilibre est très délicat, mais rappelons-nous que dans le secteur privé, un holding aura toujours un certain nombre de ses hauts dirigeants qui siégeront au conseil des filiales, même si elles opèrent de façon complètement autonome.

Il faut bien distinguer la notion d'indépendance des administrateurs vis-à-vis de la direction et l'indépendance vis-à-vis de l'actionnaire; ce sont deux notions totalement différentes. Lorsque l'actionnaire de contrôle n'est pas à la table, cela entraîne tout une série de discussions parallèles qui vont à l'encontre même d'une bonne gouvernance.

Il n'y a pas de solution évidente; pourrait-on y arriver, par exemple, en créant une agence gouvernementale qui regrouperait certaines sociétés d'État et qui travaillerait sur des questions stratégiques avec les directions et les présidents de conseil, ou encore par une présence accrue de hauts fonctionnaires sur les conseils? Chose certaine, il faut mettre en place des mécanismes de coordination structurée. Ceci permettrait d'éviter qu'un ministre porte un jugement public sur des activités d'une société dont il est responsable et limiterait les dérapages comme ceux que nous avons vécus avec les procédures judiciaires concernant le papier commercial adossé à des actifs.

Rappelons à ce sujet que la Caisse de dépôt, qui a pour plus de 12 milliards de PCAA, a réussi à mettre sur pied l'Accord de Montréal, une entente fort complexe et unique en son genre qui pourrait servir de modèle ailleurs dans le monde. Comment accepter que la SGF, au nom de l'indépendance de son conseil, puisse aller à l'encontre des intérêts de la Caisse de dépôt et, en conséquence, des intérêts du gouvernement, en s'alliant à un certain nombre de groupes privés pour tenter, devant les tribunaux, de recouvrer un droit de poursuite contre les institutions financières ayant vendu ces instruments financiers? Comment admettre que la SGF puisse ainsi contribuer à mettre l'Accord de Montréal en danger?

Si je peux comprendre la position des entreprises privées, il est aberrant que deux sociétés d'État puissent avoir des positions différentes sur un enjeu aussi grave. Il y a ici un vice de gouvernance: un conseil se rapporte à son actionnaire de contrôle et in fine c'est lui qui décide. Si des administrateurs ne sont pas d'accord, ils doivent avoir le courage de démissionner. Quiconque travaille dans le secteur privé le sait.

Robert Parizeau

L'auteur est administrateur de sociétés.