Faisons travailler notre imagination un instant. Imaginons que tout un pan de la culture québécoise soit totalement ignoré. Imaginons par exemple qu'on refuserait au Québec d'entendre parler de chanson québécoise. Les radios diffuseraient une petite dizaine de chansons d'ici par mois, les émissions culturelles n'inviteraient jamais aucun chanteur, les journaux écriraient un ou deux articles par année sur le sujet. Sur la rue, les passants seraient incapables de vous nommer cinq chanteurs québécois.

Alors que se déroule, dans la plus grande indifférence, la Semaine de mode de Montréal, voilà exactement où en est la mode au Québec. Une poignée d'articles par année dans les médias, un topo de 30 secondes à la télé deux fois par année, jamais aucune couverture de magazine, les Québécois n'ont aucune idée de qui sont nos designers, n'en achète pas (trop cher, trop excentrique, j'ai bien le droit de m'habiller comme je veux), les personnalités publiques ne se font pas un honneur de les (sup)porter. Même les gens qui s'activent dans le milieu se pavanent rarement en vêtements «made in Québec».

 

Pourtant, il y a plusieurs centaines de couturiers québécois. Il y a au Québec des designers pour tous les budgets, tous les goûts, toutes les tranches d'âge, toutes les classes sociales. Après tout, difficile de vivre nu à l'année! Le design est un produit culturel très facilement exportable (beaucoup plus que la chanson, l'humour, le théâtre ou le cinéma) et est une vitrine sur ce que nous sommes. On a qu'à penser au design italien, français ou suédois pour avoir des images bien nettes des différentes identités culturelles.

En cette période de crise économique et écologique, le consommateur ne doit-il pas se poser quelques questions lorsqu'il va acheter un pantalon à 15$? Dans quelles conditions ce vêtement a-t-il été confectionné? Est-il acceptable du point de vue de l'éthique? Ce pantalon, venu de très loin pour aboutir chez vous, qui forcément ne durera que quelques mois ne résistera peut-être pas au troisième lavage... Ce vêtement répond-il à vos aspirations écologiques? À votre désir de consommation responsable et durable?

Comme pour le cinéma ou la musique, il faudrait que les médias se dotent de chroniqueurs de design aguerris. Les lecteurs de nouvelles, les politiciens ou les vedettes ne devraient-ils pas être les clients les plus assidus de nos maisons de couture, seuls quelques artistes portent parfois les créations d'ici, lors de gala par exemple. Les stylistes qui choisissent ce que porteront les acteurs dans les téléséries et les films québécois ne devraient-ils pas être soumis à un quota minimum d'achat québécois (comme pour la chanson à la radio)? Le public ne peut pas suivre, et visiblement ne se sent pas concerné par l'achat local pour se vêtir.

Oui, le gouvernement du Québec a implanté un programme d'aide aux designers dédié principalement à l'exportation pro-mode. Comme condition première, un chiffre d'affaires de 500 000$ par année est exigé. On est en droit de se demander à qui cela peut profiter.

Et vous, lecteurs, pourriez-vous nommer cinq designers locaux? Où ont été conçus et confectionnés les vêtements que vous portez en ce moment?

L'auteur est designer et copropriétaire de CLUC Couture.