Vous ne les voyez presque plus, terrés dans les arrière-boutiques, derrière des colonnades de mosaïque ou près de toilettes malodorantes.

À en croire les uns, ce sont des boîtes de Petri contaminées qui ne méritent que la fumigation; pour d'autres, c'est l'espoir têtu que le doigt fouilleur rencontrera la bonne fortune.

 

À certains endroits, ils sont encore grégaires, mais on les voit de plus en plus souvent solitaires.

Bornes bornées, les téléphones publics semblent des vestiges d'une autre époque, qui est pourtant toujours la mienne. Dépourvu de cellulaire et de montre par désintérêt plutôt qu'en réponse à un quelconque appel à la résistance, les téléphones publics me sont essentiels.

Les trouver reste encore assez facile; je peux toujours compter sur le métro, les halls des grands hôtels, les restaurants et les stations-service. Le plus grand plaisir surgit toutefois lorsque je visite une cabine téléphonique, en ville comme au village. Cocon de verre, de métal et de plastique, la cabine est mon lieu de communication; je m'isole du monde, je m'arrête pour connecter.

Chaque fois que je m'en extirpe (je suis un peu géant...), j'ai l'impression d'avoir vécu un moment hors du temps, privilégié, en compagnie de toutes ces histoires écrites en graffitis et numéros de téléphone.

Remarquer l'emplacement des cabines devient un de mes réflexes de marcheur urbain; elles m'ont sauvé plus d'une fois d'une averse torrentielle et elles me donnent toujours l'heure. Si j'ai parfois l'impression d'être un des derniers à communier à leur temple, je ne m'en fais pas trop.

Lorsque le dernier Superman aura pris son envol, lorsque le monde l'aura chassé, j'arrêterai tout simplement de téléphoner.

Sylvain Duguay

L'auteur demeure à Montréal.