Quel réveil brutal. Depuis quelques années, le poids de la dette du gouvernement dans l'économie québécoise affichait une tendance à la baisse. Grâce à plus d'une décennie de croissance économique soutenue, le poids de la dette diminuait malgré une augmentation significative de la dette chaque année.

Alors que l'économie semblait sur une lancée irrésistible, l'idée d'une politique de réduction de la dette du Québec - toujours la plus endettée des provinces canadiennes - était reçue par plusieurs avec scepticisme. À quoi servait-il de rembourser la dette si le ratio dette-PIB diminuait inexorablement grâce à l'expansion prévisible de l'économie québécoise?

 

Nous avons aujourd'hui la triste démonstration du risque élevé qui est associé à une politique passive de réduction du poids de la dette publique. Lorsque l'économie se contracte, comme ce sera le cas en 2009 (-1,2% en termes réels), le ratio dette-PIB repart à la hausse. Entre 2008 et 2011, ce ratio fera un bond de quatre points de pourcentage.

Cette année, les déboires de la Caisse de dépôt et placement représentent un défi supplémentaire. Le Fonds d'amortissement des régimes de retraite (FARR) et le Fonds des générations - des actifs qui viennent réduire la dette du gouvernement - ont fondu comme neige au soleil, occasionnant une augmentation de 880 millions sur deux ans du service de la dette pour le FARR seulement. Cette augmentation est heureusement compensée par une importante réduction des taux d'intérêt.

Partant d'une intention louable, le Fonds des générations constitué en 2006 pour rembourser éventuellement la dette reposait sur une logique risquée: les rendements générés par la Caisse allaient nécessairement surpasser les intérêts sur la dette. Il faudra à plus ou moins brève échéance mettre un terme à l'aventure du Fonds. Ce qu'il en reste devrait être appliqué le plus tôt possible au remboursement de la dette. Il devrait en être de même des prochains versements prévus, dont 715 millions en 2009-2010, qui sont maintenus par le présent budget.

Le cadre législatif québécois en matière de finances publiques est l'un des meilleurs au monde. Bien conçue, la Loi sur l'équilibre budgétaire avait prévu la possibilité de « détérioration importante des conditions économiques « comme celle que nous vivons présentement. Les déficits de près de 8 milliards prévus sur deux ans sont donc légaux. La Loi actuelle prévoit toutefois que ces déficits doivent être compensés sur une période de cinq ans par des surplus.

Dans le budget, le gouvernement annonce son intention de remettre les compteurs à zéro par une suspension de la Loi. Une autre loi, qui régit les versements au Fonds des générations, sera également assouplie. Compte tenu de l'incertitude ambiante, ces changements législatifs sont prématurés et ils affaiblissent la crédibilité du cadre législatif québécois.

Bien entendu, le brusque freinage de l'économie mondiale entraîne celle du Québec dans son sillage. Dans une telle situation, un déficit budgétaire est non seulement inévitable, mais il est souhaitable. Autrement, comme c'est le cas dans plusieurs États américains, l'effondrement des recettes fiscales se serait automatiquement accompagné de profondes coupures dans les dépenses.

Dans l'ensemble, ce budget de crise présente une réponse à la hauteur des moyens limités d'une province comme le Québec. Mais une fois la tempête passée, nous devrons entreprendre une sérieuse réflexion sur notre endettement collectif, qui se sera accru de 15% en trois ans.

La période de prospérité d'une durée sans précédent que nous avons connue jusqu'à l'été dernier représentait une fenêtre d'opportunité unique pour s'attaquer à notre problème d'endettement. C'était nécessaire en raison de l'accélération du vieillissement de la population qui nous attend au virage, pour des raisons d'équité intergénérationnelle ou simplement pour assurer que l'État québécois ait les coudées franches en période de crise. Le budget d'hier le confirme: cette fenêtre s'est définitivement refermée.

L'auteur est professeur au département d'économique de l'Université de Sherbrooke et chercheur au GRÉDI et au CIRANO.