Contrairement à une croyance populaire voulant que les informations comptables soit précises, objectives et dénuées de toute incertitude, elles sont en fait (et c'est ce qui les rend si insidieuses) un des outils les plus malléables servant à présenter l'image d'une entreprise et sa performance dans le temps.

La comptabilité est un terrain de jeu dans lequel tout est permis à condition de respecter les règles du jeu. Ces règles sont établies par des normalisateurs nationaux, comme le Financial Accounting Standards Board (FASB) aux États-Unis et l'Institut canadien des comptables agréés au Canada (à noter que les normes canadiennes changeront pour les normes internationales IFRS à partir de 2011, rejoignant ainsi plus de 100 pays incluant l'Union européenne).

 

Les récents amendements à la règle américaine sur le «mark-to-market» viennent agrandir le terrain de jeu comptable, particulièrement pour les institutions financières dont le bilan est bondé d'actifs toxiques comme les PCAA.

Il est clair que l'évaluation à la juste valeur (mark-to-market) est plus pertinente, «en théorie», pour les lecteurs d'états financiers comme les investisseurs. Les justes valeurs permettent de mieux refléter la volatilité des titres et le risque qu'ils comportent. Mais pour que les justes valeurs soient réellement utiles «en pratique», il faut qu'elles soient simples à comprendre, établies à partir de données fiables et neutres, publiées en temps opportun, et bien expliquées dans les notes aux états financiers.

Pour être fiables, on cherche généralement à baser les justes valeurs sur des prix cotés dans des marchés faisant l'objet d'un nombre suffisant de transactions entre parties sans lien de dépendance. C'est ici que la récente règle américaine vient jouer en esquivant les lois du marché sous prétexte qu'il n'est pas valide - on dit du marché qu'il n'est pas actif. Le raisonnement n'est pas nécessairement faux, mais la solution proposée par le FASB vient dangereusement jouer sur une facette essentielle de l'information comptable, sa neutralité.

Pour être neutre, l'information comptable doit être établie à partir de données indépendantes des volontés et interprétations des dirigeants de l'entreprise qui les publie. Sinon, dans le cas du «mark-to-market», ce n'est plus des justes valeurs marchandes que nous obtenons mais plutôt des valeurs «souhaitées» comme marchandes. L'expression anglaise pourrait alors changer de «mark-to-market» pour «mark-to-wish»!

En gros, la nouvelle règle permettra aux entreprises de mesurer la juste valeur en se basant sur des hypothèses non observables plutôt que sur des prix cotés, dans le cas où le marché est jugé non-actif. De plus, certaines pertes sur créances seront exclues des résultats et transférées dans une nouvelle catégorie d'information comptable appelée «autres éléments du résultat étendu» («other comprehensive income» ou OCI en anglais). Cette nouvelle rubrique OCI apparaîtra directement dans les capitaux propres, permettant d'y faire bifurquer des pertes sans qu'elles ne passent par l'état des résultats.

La raison d'être des mesures «mark-to-market» dans les règles comptables est d'améliorer la pertinence et la comparabilité des comptes. Ceci dans le but de mieux informer les lecteurs, en particulier les investisseurs, et de les protéger afin que les informations comptables reflètent mieux la réalité économique. En s'écartant du principe voulant que la juste valeur comptable soit établie à partir de données fiables et indépendantes de toute manipulation par les dirigeants, on expose non seulement les investisseurs à une information de moins bonne qualité, mais on ouvre toute grande la porte à une gestion des résultats («earnings management») par les dirigeants. En plus, le recours à la rubrique OCI compliquera davantage le travail d'analyse et de suivi des pertes par les investisseurs qui seront bien en mal de s'y retrouver.

La récente modification de la règle américaine « mark-to-market» permettra aux institutions financières d'améliorer momentanément leur image «comptable», mais réduira la qualité de l'information au détriment des investisseurs et autres lecteurs des états financiers.

Si les gouvernements désirent aider les banques, alors ils devraient le faire directement sans passer par les normes comptables. Autrement, c'est toute la crédibilité de notre système financier qui écope, et le remède risque d'entraîner des maux encore pires que ceux qu'il vise à soigner.

L'auteur est professeur à l'Université du Québec en Outaouais. Il s'intéresse notamment aux normes comptables interna-tionales IFRS qui seront implantées au Canada en 2011.