En novembre 2005, une trentaine de progressistes du Québec signaient le Manifeste pour un Québec solidaire. On y lisait: «Nous croyons nous aussi faire preuve de lucidité. (...) Inégalités sociales, pauvreté, crises financières, scandales comptables, dégradations environnementales et changements climatiques sur fond de conflits meurtriers sont les conséquences visibles d'un laisser-faire qui a abandonné à l'illusion du marché autorégulé le soin de gérer le quotidien et l'avenir de la Terre et des humains. (...) Le type de mondialisation porté par les puissants et les biens nantis, en est le principal responsable.»

Ces progressistes répondaient au manifeste Pour un Québec lucide qui proposait de s'engager davantage dans la voie tracée par les néolibéraux depuis 30 ans. Nous assistions à une sorte d'union sacrée de politiciens, penseurs, économistes et gens d'affaires, un peu à l'image de la vaste coalition de droite qui a porté les Reagan et Bush au pouvoir aux États-Unis.

 

Au contraire des Lucien Bouchard, Joseph Facal, Pierre Fortin, André Pratte et Cie, les signataires du manifeste pour un Québec solidaire proposaient de rompre avec les recettes néolibérales, sachant fort bien que le désengagement de l'État, la déréglementation tous azimuts ainsi que le culte du libre marché mèneraient tout droit à des crises aux effets dramatiques.

Les lucides ont pesé lourdement sur les choix étatiques et soutenu des politiques néfastes pour la majorité: privatisation en douce des services publics, transfert de responsabilités sociales aux femmes, le plus souvent gratuitement, introduction des partenariats public-privé, précarisation et pertes d'emplois, réduction d'impôts qui profitent aux actionnaires des entreprises et aux riches et induisent un accroissement notable des inégalités sociales, hausses des tarifs, mauvaises décisions au plan écologique.

Maintenant que le Québec vit à l'heure d'une immense crise financière, économique et écologique, il est plus que temps de demander des comptes aux lucides et à leurs amis.

D'où vient cette crise? Est-elle simplement causée par les excès du capitalisme, par des fraudeurs et des financiers qui ont agi en bandits de grand chemin? Pour Québec solidaire, la réponse est non.

La crise actuelle est l'aboutissement de politiques néolibérales qui ont lourdement aggravé les problèmes inhérents à la culture et à l'organisation capitaliste. Depuis les années 80, des mouvements sociaux et des partis écologistes et de gauche le répètent: on assiste à la montée fulgurante puis à la domination d'une pensée individualiste et affairiste qui soutient les puissants, les ultrariches, ceux-ci cherchant à mettre la main sur les richesses de la planète entière, avec la complicité de politiciens complaisants. Tout cela sur fond de mondialisation sans entrave et au prix de pillages environnementaux.

Partout au Québec et ailleurs dans le monde, des changements sont en cours. Des alternatives existent et sont appuyées par des mouvements citoyens. La montée de la gauche en Amérique latine et en Europe, les luttes et les révoltes populaires en Afrique et en Asie, et plus près d'ici, les initiatives citoyennes en faveur du commerce équitable et le développement de notre économie sociale sont autant d'exemples, porteurs d'espoir. Ces initiatives locales seront toutefois largement insuffisantes si nous ne prenons pas ensemble la décision de changer profondément notre monde.

Pour Québec solidaire, ce changement passe par une réflexion sur la souveraineté que nous voulons. À nos yeux, la souveraineté se construit par des actions conséquentes sur les plans économique et écologique. Serons-nous souverains mais totalement dépendants d'États voisins ou de financiers sans scrupules, souverains mais dépossédés de nos ressources naturelles?

Pour nous, la souveraineté a une finalité qui va au-delà des actions indispensables au regard de la langue française et de la culture québécoise. La souveraineté doit être populaire, démocratique, économique et politique. Et nous la voulons pour que le peuple québécois soit maître de son destin, parce qu'il mérite mieux que d'être porteur d'eau ou, aujourd'hui, porteur de gaz.

Aujourd'hui, et plus encore qu'en 2005, il ne s'agit pas de choisir entre le statu quo et le changement, comme le clamaient les lucides, mais de statuer sur la nature du changement. Car plus que jamais, un autre Québec et un autre monde sont non seulement possibles, mais nécessaires.

Les auteurs sont porte-parole de Québec solidaire. Le texte suivant est extrait du manifeste «Pour sortir de la crise: dépasser le capitalisme?», que Québec solidaire rend public à l'occasion du 1er mai.