On reproche souvent au gouvernement conservateur que sa reconnaissance de la nation québécoise ne soit que symbolique, sans portée réelle. Le sport d'élite lui donne présentement l'occasion de montrer le contraire.

Les médias ont fait grand vent de la menace de Ski de fond Canada de reclasser Alex Harvey de l'équipe A à l'équipe B, soit celle de développement, malgré ses performances inégalées par les autres skieurs canadiens cette année. Plusieurs journalistes ont expliqué qu'un conflit autour du lieu d'un entraînement opposait Alex Harvey à Ski de fond Canada, d'où la menace de reclasser le fondeur. Derrière cette confrontation se camoufle plus qu'un lieu d'entraînement. En effet, celle-ci porte vraiment sur la façon dont le ski de fond et d'autres sports d'élite sont organisés au Canada.

 

Pour le ski de fond, il existe deux principaux centres nationaux d'entraînement: un à Canmore en Alberta et l'autre à Saint-Ferréol-les-Neiges au Québec. Le premier est le principal puisqu'il a la responsabilité de tous les athlètes séniors classés sur le circuit de la coupe du monde (l'équipe A) et d'un certain nombre d'athlètes seniors non classés (l'équipe B). Le second n'entraîne que des athlètes séniors non classés et des athlètes juniors. Puisque Harvey est senior et classé, la règle exige qu'il s'entraîne à Canmore «pour favoriser une culture d'excellence», dit Tom Holland de Ski de fond Canada.

Il y a eu exception à cette règle de partage pour la saison 2008-2009, puisque Ski de fond Canada a permis à Alex Harvey de faire le saut dans l'équipe A, sans le déloger du centre d'entraînement de Saint-Ferréol-les-Neiges. Harvey est un jeune francophone, attaché à son milieu, et qui poursuit des études à l'Université Laval. Le déraciner de ce milieu aurait sans doute pu nuire à sa performance. Mais en permettant à Harvey de demeurer au Québec, Ski de fond Canada a demontré qu'elle était capable de comprendre la situation particulière des francophones au Canada.

L'organisation envoyait le message que dans un pays où cohabitent une majorité anglophone et une minorité francophone, des arrangements doivent parfois être envisagés pour permettre à cette dernière de se sentir chez elle.

L'attitude de Ski de fond Canada était tout à fait dans l'esprit du fédéralisme d'ouverture. Cela rend d'autant plus incompréhensible la menace de Ski de fond Canada la semaine dernière, qui sommait Harvey de déménager à Canmore ou d'accepter un reclassement dans l'équipe B.

Pour éviter son reclassement, Harvey a dû accepter un compromis (voir La Presse du 9 mai 2009). Mais l'affaire Harvey offre aux autorités fédérales l'occasion d'aller au-delà d'un compromis qui ne concerne qu'un athlète, en institutionnalisant le fédéralisme d'ouverture dans les sports d'élite.

Puisque les Québécois sont reconnus formellement comme nation au sein du Canada, il n'est pas normal qu'une organisation comme Ski de fond Canada impose à ses meilleurs athlètes francophones un milieu d'entraînement anglophone. Les autorités fédérales devraient offrir au centre national de Saint-Ferréol-les-Neiges un statut égal à celui de Canmore, ce qui permettrait à tous les athlètes de choisir entre un milieu d'entraînement anglophone et un francophone.

Ceux qui craignent l'effet que pourraient avoir deux lieux d'entraînement sur l'unité de l'équipe peuvent être rassurés. Les athlètes ne choisiraient pas tous leur lieu d'attache en fonction de la langue, certains préférant les méthodes d'entraînement d'un endroit plutôt que celles de l'autre. Cela permettrait l'intégration de quelques anglophones dans un milieu francophone et de quelques francophones dans un milieu anglophone, comme cela se fait actuellement pour l'équipe B. Des entraînements communs pourraient aussi avoir lieu à l'un et l'autre des deux centres. Actuellement, ce sont les athlètes de Saint-Ferréol-les-Neiges qui se déplacent pour des entraînements à Canmore. Enfin, les athlètes seraient ensemble lors des compétitions, qui occupent une bonne partie de l'année. Tout cela pourrait assurer la cohésion de l'équipe, qui représentait toujours un Canada uni sur les circuits internationaux.

Il ne reste qu'à espérer que les autorités fédérales saisiront cette occasion que leur a donnée l'affaire Alex Harvey pour revoir l'organisation de certains sports d'élite et montrer que le fédéralisme d'ouverture est plus que de belles paroles.

L'auteur est professeur de science politique à l'Université de Montréal et auteur de l'ouvrage «Le fédéralisme d'ouverture», paru chez Septentrion en 2007.