Il y a des nuits où le sommeil est plus difficile, alors je me tourne vers la radio, ma compagne d'insomnie.

Il y a quelques semaines, j'ai entendu un animateur, dont j'oublie le nom, discuter avec grandiloquence de la fin de l'information papier. À tel point, dit-il, qu'à Detroit, un certain journal ne sera publié dorénavant que trois jours par semaine. Même la France est touchée, et on entend M. Sarkozy proposer toutes sortes de mesures pour rattacher les jeunes aux activités culturelles et à la lecture des journaux.

J'ai ressenti cette onde de choc comme une autre catastrophe, une autre partie de la crise qui bouleverse tout. Chaque matin, je lis régulièrement trois quotidiens, j'y ajoute, au cours du mois, six revues d'information. Quarante-cinq ans d'engagement communautaire m'ont démontré le besoin fondamental de lire les éditoriaux, les articles de fond pour alimenter mes réflexions sur différents sujets.

 

Chaque jour, je découpe, j'empile les aide-mémoire et je ne suis jamais prise de court lorsque j'ai à prendre la parole. Je peux toujours citer l'un ou l'autre quotidien. Leurs textes permettent de réfléchir, de structurer ma pensée. Tous mes sens sont interpellés lors de la lecture, je suis imprégnée de leur odeur, de leurs idées, j'ai besoin de les tenir dans mes mains, de les garder près de mon lieu de travail, de vibrer aux émotions qu'ils soulèvent, de digérer l'information. De plus, ils me ramènent à un devoir de mémoire et de transmission de toute l'information reçue. Les textes lus et relus permettent de construire mes propres références et de partager avec des amis à qui je refile journaux et revues.

Comment retrouverais-je autant de bénéfices en m'assoyant devant l'internet ou en me contentant des clips de l'information continue? Par exemple, je m'intéresse depuis des années à l'aménagement urbain. J'entends dans un média un expert se prononcer sur la question, je n'ai pas eu le temps de prendre des notes, alors je ne peux le citer convenablement.

J'ai tenté de savoir si l'on partage mes appréhensions. Réponses plutôt vagues: chez les baby-boomers, une certaine indifférence. Ils achètent les journaux, mais on les remplacera advenant leur départ. Chez les plus jeunes, on ne jure que par les nouvelles des réseaux d'information continue et les technologies, on lit parfois. Chez les aînés, on aime bien lire l'information papier.

Les journaux et revues sont des produits culturels indispensables. Devrons-nous les sacrifier sur l'autel de l'information rapide, les consommer en deux temps, trois mouvements, comme on agit dans le monde de l'éphémère, de l'ici et maintenant, sans approfondissement, sans analyse, vite passons à autre chose, nous n'avons plus le temps, l'ineffable quête de la rapidité conditionne notre vie, pourquoi prendre le temps d'ouvrir un journal? Nous sommes dans le monde de l'immédiat, de la vacuité, du paraître, de la glorification du dieu internet.

Même si je ne peux pas concevoir d'être privée de la section livres, des éditoriaux, des articles de fond, je peux être facilement critique, surtout si je me réfère à la dernière année. De quels sujets a-t-il été question? Politique, sport, économie. Est-il nécessaire de noircir tant de pages sur les aventures de Julie Couillard ou sur la violence de Jonathan Roy? Ah! J'oubliais le côté économique, ça fait vendre le journal!

Tout ce remue-méninges m'a fait constater que je consacre plus de 3000$ par année à l'achat de magazines et de journaux. Tout un bail! Mais j'ai une pensée pour tous ces jeunes qui étudient en écriture journalistique. Quel sera leur avenir? Et tous ceux qui écrivent déjà, pourront-ils se recycler dans un autre média?

Dans une société, tout se tient. Pas d'enseignement de l'histoire, diminution du financement de la culture, retrait annoncé des journaux. Et quoi encore? Je n'ose aller au bout de ma pensée, je vais choquer les internautes, les consommateurs iPod et autres utilisateurs de ces nouvelles technologies.

L'auteure réside à Jonquière.