Monsieur le premier ministre, faire du Québec la première puissance mondiale des énergies renouvelables est un objectif très ambitieux. On peut s'interroger sur cette ambition de briller parmi les premiers, au moment où la planète est avant tout confrontée à des enjeux cruciaux de développement durable.

Parmi les premiers ministres du Québec qui ont contribué au développement de grands projets, les Premières Nations reconnaissent ceux, quel que soit le parti politique, qui ont su prendre en compte la présence immémoriale des Premières Nations sur le territoire et les droits sur ce territoire qui sont les nôtres et qui continueront d'être au coeur de ce que sont les Premières Nations. C'est ce qu'exigeait leur rôle de chef de gouvernement, au-delà de l'ambition de briller.

 

On peut choisir d'ignorer, de contourner les droits des uns et des autres. Je constate que c'est là la position de votre gouvernement. De l'exploitation d'une rivière sur un territoire qui n'est pas vraiment le vôtre, vous êtes prêt à sauter à une autre, dans les mêmes conditions d'irrespect des droits des Premières Nations. Permettez-moi de l'affirmer le plus clairement possible, cela est inacceptable. Je ne cherche pas à dissimuler ma déception, ni ma colère, et je la sais partagée par plusieurs.

Soyez assuré, M. Charest, que les Premières Nations ne se laisseront pas «bulldozer», qu'elles ne resteront pas immobiles et muettes face à vos projets qui ne tiennent aucunement compte de nos droits sur le territoire. Non, vous ne ferez pas une autre Baie-James sans convenir avec nous d'ententes reconnaissant nos droits au territoire.

Pour réaliser le projet de la Baie-James, le gouvernement de Robert Bourassa a négocié et conclu un traité moderne avec les Cris, les Naskapis et les Inuits. Bien qu'imparfaite, cette Convention de la Baie-James avait le mérite de reconnaître les droits des premiers occupants du territoire. Pourquoi en serait-il différemment aujourd'hui sur les territoires des Innu?

Le territoire sur lequel vous comptez développer vos projets de barrages hydroélectriques se nomme Nitassinan; il s'agit du territoire ancestral de la nation Innu qui y détient, que cela vous plaise ou non, des droits ainsi qu'un titre aborigène conférant un droit au territoire lui-même.

De plus, les Innus n'ont jamais été conquis, ils n'ont jamais cédé leurs territoires et, surtout, n'ont jamais abdiqué leur souveraineté sur ces territoires. Malgré des discussions et des négociations qui durent depuis plus de 30 ans pour la conclusion d'un traité, les gouvernements continuent d'agir sur ce territoire comme si les droits des Innus n'existaient pas. C'est là une grave erreur et une immense injustice.

En novembre dernier, l'Assemblée des chefs a adopté une déclaration portant sur un mécanisme d'affirmation de la souveraineté des Premières Nations. Il ne s'agit pas d'un geste de rupture, mais d'un geste de clarté, d'un rappel de ce qu'ont toujours été, de ce que sont et de ce que continueront d'être les Premières Nations: des nations souveraines que l'on a trop longtemps laissées de côté. Conséquemment, le gouvernement du Québec ne peut pas agir comme s'il était seul propriétaire du territoire; la propriété est à tout le moins partagée avec les nations autochtones concernées.

Dans un plan d'action adopté en avril dernier, les chefs ont donné le feu vert à la création d'un Comité des terres et ressources, composé de représentants des Premières Nations ayant pour mandat de proposer des solutions à la problématique actuelle de la gestion des territoires ancestraux et des ressources. De façon prioritaire, ce comité aura la responsabilité de proposer aux Premières Nations une position en réaction à votre fameux Plan Nord, dont nous ne connaissons aucunement les détails et la portée.

Je vous annonce donc, ainsi qu'à la population québécoise du même coup, la création de ce Comité des terres et ressources des Premières Nations, avec lequel le gouvernement devra dorénavant composer pour tout projet de développement du territoire et de ses ressources. Entre autres projets de ce Comité: création et adoption de politiques d'aménagement du territoire, d'émission de permis d'exploitation, d'une procédure d'évaluation d'impacts sociaux et environnementaux, ainsi que les conditions pour le partage des redevances.

Je compte sur vous et votre sens de l'État pour donner suite à ces normes internationales et convenir avec nous de l'avenir de nos territoires.

L'auteur est chef de l'Assemblée des premières nations du Québec et du Labrador (APNQL). Il signe une lettre adressée au premier ministre du Québec, Jean Charest.