L'assassinat du médecin George Tiller, survenu dimanche, n'était pas le premier, ni le dernier épisode de la guerre que se livrent les militants pro-vie et pro-choix aux États-Unis. Barack Obama a certes été élu à la présidence, mais la société américaine n'a pas autant changé qu'on pourrait le croire et n'est pas soudainement devenue un «paradis progressiste». La guerre culturelle américaine continuera effectivement à battre son plein et les acteurs de cette guerre, les «exorcistes américains», poursuivront leur lutte au grand dam d'Obama.

L'objectif des «exorcistes américains» est simple: protéger les valeurs traditionalistes de la société américaine sur des enjeux aussi divers que l'avortement, le mariage gai, l'enseignement de la théorie de l'évolution dans les écoles et l'euthanasie. Répondant à l'appel lancé par l'ultraconservateur Pat Buchanan en 1992, ils mènent une guerre religieuse visant à expurger la société américaine de ses «démons» progressistes et séculiers - par exemple, les médecins qui pratiquent l'avortement, les féministes, les militants pour le mariage gai ou encore les réalisateurs hollywoodiens qui «banalisent» la consommation de drogues au cinéma.

 

Les «exorcistes» sont ainsi de plusieurs types et brandissent le crucifix pour diverses raisons. Il s'agit parfois du président lui-même, comme l'a démontré George W. Bush en proposant l'adoption d'un amendement constitutionnel interdisant le mariage gai. Mais on compte aussi parmi eux des juges qui, à l'instar d'Ashley McKathan, insistent pour afficher les 10 commandements sur leur robe de magistrat; des pasteurs qui, comme Becky Fischer, invitent les chrétiens préadolescents à rejeter l'homosexualité; ou encore des blogueurs qui, comme Kevin McCullough, s'insurgent contre la nudité dans les jeux vidéo comme Mass Effect. Pour les «exorcistes», les élites laïques et libérales se sont emparées du pouvoir et sont en train de détruire les fondements spirituels de la société.

C'est du moins l'avis de celui qui peut être qualifié «d'exorciste américain par excellence», c'est-à-dire Bill O'Reilly, l'animateur de The O'Reilly Factor, une émission d'affaires publiques que plus de trois millions d'Américains regardent quotidiennement sur Fox News. Dans un livre intitulé Culture Warrior, O'Reilly explique que les «traditionalistes» comme lui doivent lutter contre les «progressistes séculiers». Il méprise ainsi ceux qu'il appelle les «extrémistes de gauche» de la ville de San Francisco, esquinte les artistes rock comme Marylin Manson d'inciter les jeunes à adopter un style de vie dévergondé et accuse les médecins pratiquant l'avortement de s'adonner à des «pratiques barbares».

George Tiller était d'ailleurs l'une des cibles préférées d'O'Reilly, qui l'avait surnommé «Tiller le tueur de bébés» et qui n'hésitait pas à affirmer que le médecin «détruisait des foetus pour 5000 dollars» et était «l'équivalent moral d'al-Qaeda».

Il serait certes exagéré d'affirmer que la rhétorique - incendiaire et haineuse - d'O'Reilly a eu une influence directe sur l'assassin de Tiller. Mais il ne fait aucun doute que The O'Reilly Factor incite les Américains à radicaliser leurs positions sur les enjeux de la guerre culturelle. En effet, comment demander à un amateur de cette émission de faire preuve de modération à l'égard d'un Américain pro-choix quand on lui répète soir après soir que les groupes pour l'avortement «exécutent des bébés» et sont l'équivalent de Hitler?

À l'inverse, le meurtre de Tiller incitera aussi les individus et groupes de gauche à croire que tous les militants pro-vie sont des êtres «jusqu'au-boutistes» et «dérangés». Barack Obama aura ainsi plus de difficulté à prôner avec succès son discours rassembleur.

Mais les républicains subiront aussi les contrecoups des événements de dimanche. Il sera effectivement ardu de faire campagne contre l'avortement en 2010 et en 2012 sans raviver le triste souvenir de l'assassinat. Voilà une bien mauvaise nouvelle pour un parti déjà en déroute qui souhaitait utiliser la rhétorique de la guerre culturelle pour enregistrer des gains électoraux.

L'auteur est professeur de science politique à l'Université du Québec à Montréal et directeur adjoint de l'Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand.