Il y a quelques jours, huit compositeurs canadiens(1) (dont j'ai eu l'honneur de faire partie) sont rentrés de Shanghai, en Chine, où ils avaient été sélectionnés pour participer à un grand projet international réunissant 24 compositeurs canadiens, français et des pays scandinaves.

Ce projet titanesque, se déployant sur trois années et qui culminera lors de l'exposition universelle de Shanghai en 2010, a été initié par Radio France, le Shanghai Media Group et la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), et prenait la forme d'une compétition où les compositeurs choisis devaient tous composer une oeuvre pour instrument(s) traditionnel(s) chinois soliste(s) au choix et pour l'Orchestre symphonique de Shanghai.

 

Bien sûr, aucun d'entre nous, pas même les trois lauréats canadiens, n'espérait être accueilli en «héros» par un comité d'accueil avec banderoles et fanfares, tels que le sont souvent, par exemple, nos athlètes participant à des compétitions internationales ou aux Jeux olympiques...

Mais l'absence quasi totale de couverture médiatique de notre prestation là-bas, qui avait pourtant parfois des aspects des plus «athlétiques», m'a plongé dans une réflexion sur la vision qu'a notre société du travail de longue haleine que représente la création artistique, en la comparant, justement, avec la reconnaissance beaucoup plus spontanée que semblent recevoir les athlètes de haut niveau, autant de la part de notre société en général, que des instances gouvernementales.

En effet, il semble que l'idée de soutenir un athlète pendant sa préparation en vue d'une compétition soit beaucoup plus communément acceptée et considérée normale, que de soutenir, par exemple, un écrivain pendant le processus d'écriture de son roman.

Pourtant, il y a beaucoup de points communs entre le long travail de préparation des athlètes et le long processus créateur des artistes.

Premièrement, et dans les deux cas, il y a une importante notion de prise de risque. En effet, absolument rien ne nous garantit le succès d'un artiste à une compétition internationale, pas plus que rien ne garantit qu'un artiste produira un chef-d'oeuvre.

Cependant, il semble que dans le cas du sport, les médias, le gouvernement et les citoyens soient plus disposés à prendre ce risque. Pourtant, il est le même.

Deuxièmement, dans les deux cas, il s'agit de démarches de dépassement de soi-même en repoussant ses limites. Un sportif n'est pas plus intéressé à demeurer figé dans sa technique et uniquement égaler son record, qu'un artiste de stagner et répéter des choses qui ont déjà été dites. Les deux veulent se dépasser, et élargir les limites de leur discipline respective.

Alors, où est le problème? Pourquoi notre société a-t-elle autant de mal à reconnaître le droit de soutenir, pendant tout le processus, le travail ardu que représente la création artistique, comme elle le fait pour le travail ardu de nos athlètes?

Un élément de réponse se trouve peut-être dans le fait que nous avons en ce moment, surtout au niveau fédéral, des gouvernements qui souhaitent niveler la culture par le bas. Ce phénomène se répercute malheureusement sur nos médias, qui depuis déjà plusieurs années nous ont laissé tomber, trop occupés à faire la promotion de ce qui est déjà promu, ou par une couverture des nouveaux systèmes préétablis de fabrication des stars, que la convergence des médias a rendue possible.

À long terme et à moins d'une sensibilisation et d'un réveil majeur des instances gouvernementales, des médias et bien sûr des citoyens, nous risquons de nous retrouver, d'ici une vingtaine d'années dans une triste société où, - via Star Académie et tous ses petits enfants «Écrivain Académie», «Peintre Académie» et pourquoi pas «Philosophe Académie»! -, la convergence médiatique donnera l'impression au public, avec ce qui n'est en fait qu'une vaste étude de marché, de «choisir» la culture qu'ils veulent consommer, tout en supprimant, justement, toute forme de prise de risque.

Lorsque nous laisserons complètement tomber et cesserons d'être fiers de nos écrivains, compositeurs, cinéastes, poètes et tous les autres artistes, cela voudra dire que nous nous serons laissé tomber nous-mêmes, en tant que société.

(1) Denis Gougeon, Jose Evangelista, Farangis Nurulla-Khoja, Analia Llugdar, Pierre Michaud, Sean Pepperall, Serge Provost.

L'auteur est compositeur et doctorant à l'Université de Montréal.