Du jamais vu. 55% des Québécois estiment qu'un «Québec indépendant» aurait fait mieux (14%) ou aussi bien (41%) que le Canada dans la crise économique. Voilà une des bonnes nouvelles livrées par le sondage CROP rendu public vendredi dernier par le groupe Idée fédérale.

C'est capital, car la crainte face à l'avenir économique d'un Québec souverain fut LE facteur de la défaite du Oui en 1995. Elle n'opère plus. D'autant qu'un autre cap statistique est franchi: il y a désormais moins de chômage au Québec qu'en Ontario ou aux États-Unis. Le Québec se détache du sentiment d'infériorité économique qu'il a toujours traîné comme un boulet.

On dit les niveaux d'appuis à la souveraineté en reflux. Conclusion bizarre car les sondeurs d'Angus Reid et ceux du PQ nous disent à l'unisson que le Oui et le Non sont, sur la question de 1995, toujours au nez à nez. Surtout, d'autres phénomènes sont en train d'élargir les points d'appui de l'idée souverainiste: la confiance économique et l'identité.

Les chiffres de CROP/Idée fédérale révèlent qu'en 11 ans, la proportion de Québécois se disant «seulement» ou «d'abord» Canadiens a chuté de 7 points, à 21%. Celle se disant également Canadiens et Québécois est stable à 26%. Mais la proportion se disant «seulement» ou «d'abord» Québécois a grimpé de 55 à 60%. Le sondeur fédéraliste Maurice Pinard avait le premier révélé l'importance prédictive majeure de ces évolutions. Lorsque tout est dit, on ne peut voter pour un Québec souverain si on ne se juge pas d'abord Québécois. Le nouveau groupe de réflexion sur le fédéralisme a bien choisi son nom, et mal choisi son moment. Le nom rend bien compte de l'écart entre «l'idée fédérale», noble, et la réalité fédérale, désolante, le statu quo n'étant jugé satisfaisant, selon Angus Reid, que par 38% des Québécois.

Pire, jeudi dernier, Michael Ignatieff giflait les penseurs fédéralistes en annonçant qu'il n'offrirait au Québec aucune marge de manoeuvre supplémentaire. Sa résolution sur la nation? Rien qu'un symbole, avouait-il.

Mes amis fédéralistes vont d'espoirs déçus en rêves brisés. Ils pensaient qu'Ignatieff serait The One. Ils avaient misé sur Stephen Harper, dont ils ont attendu en vain la limitation du pouvoir fédéral de dépenser - ce cancer qui ronge «l'idée fédérale». Le sauveur précédent était Paul Martin. Bilan: zéro absolu. Il faut remonter à Brian Mulroney pour trouver un leader qui ait sincèrement tenté une réconciliation, pour la voir s'échouer sur les récifs du trudeauisme, ceux-là qu'Ignatieff étreint ou craint - le résultat est le même.

Mais il y a changement. Le fait que le parlement fédéral - contre le voeu de 75% des Canadiens hors Québec - ait reconnu l'existence de leur nation conforte les Québécois dans leur volonté d'être plus autonomes. Pas moins de 65% des Québécois désirent davantage de pouvoir sur la langue et la culture - ce que le parlement et M. Ignatieff ont refusé de faire, la semaine dernière, sur une question de simple application de la loi 101 aux 200 000 salariés du Québec oeuvrant dans des entreprises sous juridiction fédérale. Seul un Québec remobilisé autour de ses revendications et de la souveraineté peut espérer un changement.

L'Idée souverainiste nécessite l'adhésion d'une majorité de Québécois. Ce n'est pas une mince affaire. Mais cela n'est pas une démarche aliénante, dont la clé résiderait dans le regard de l'autre. C'est une question que l'on se pose à nous-mêmes. Une question dont la réponse s'appuie, en définitive, sur notre identité et notre confiance en nous. Deux forces que les Québécois possèdent chaque jour davantage.

L'auteur a écrit les ouvrages «Nous» et «Pour une gauche efficace».