Barack Obama souhaite que s'apaisent rapidement les tensions au Proche-Orient, et il a raison. Pour autant, en quoi cette question serait-elle prioritaire à l'échelle de la planète?

Le constat peut surprendre; il est pourtant irréfutable. Si l'on s'en tient aux victimes tombées de mort violente (hors crimes de droit commun, s'entend) sur le sol des États et territoires libanais, israélien, syrien, jordanien, égyptien et palestinien, on doit concéder que la zone est mortifère. Sans tomber dans une comptabilité macabre, on peut estimer à environ 75 000 le nombre de victimes des différents conflits du Proche-Orient sur un siècle, depuis l'effondrement de l'Empire ottoman en 1917.

Dans l'absolu, ce chiffre est important, mais relativement à d'autres chiffres correspondant à des zones qui furent ou demeurent en conflit ouvert ou latent, il s'inscrirait plutôt au bas de l'échelle.

Les guerres et/ou guérillas de Corée (1950-53), d'Algérie (1954-62), d'Indochine puis du Vietnam (1946-75), du Sri Lanka (1983-2009) du Caucase (1991-années 2000), d'Amérique latine (années 1970) ou encore d'Afrique noire (années 1990-2000 surtout), ont chacune provoqué un nombre bien supérieur de morts au combat que l'ensemble des affrontements militaires israélo-arabes et interarabes du Proche-Orient.

Encore convient-il absolument de distinguer les guerres (globalement) conventionnelles d'une part, les massacres d'autre part. Toute vie humaine fauchée est certes à déplorer. Mais en droit international, comme dans la moralité qu'il traduit et protège en principe, on ne confond heureusement pas la violence du choc des armées conventionnelles sur le champ de bataille et la violence sans foi ni loi des meurtriers assassinant des civils.

Or au Proche-Orient, aussi surprenant que cela puisse paraître au regard des affrontements de moins en moins interétatiques, on déplore depuis 1945 davantage de victimes militaires que de victimes civiles.

On y massacre globalement moins qu'ailleurs en temps de montée aux extrêmes, y compris pendant des guerres civiles finalement assez rares et localisées (Liban 1975-1991 surtout). Une très épaisse couverture médiatique a «permis» à des crimes contre l'humanité (Septembre noir en Jordanie, Damour ou Sabra et Chatila au Liban, attentats terroristes en Israël) de se faire connaître davantage que d'autres drames survenus ailleurs, mais joue ainsi le prisme déformant et dénaturant.

En outre, puisqu'on ne constate jamais vraiment d'accalmie totale dans la région du fait de cette espèce de constance d'une conflictualité dite de «basse intensité», elle nous apparaît à feu et à sang, dévoreuse de civils. Or là encore, si l'on compare la situation des civils proche-orientaux en temps de guerre (ouverte ou larvée) à celle qui a prévalu au Biafra, au Cambodge, en Tchétchénie, dans les Balkans ou, très récemment, dans l'Afrique des Grands Lacs, on constate l'absence de génocides et de crimes de masse, et même la relative rareté des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.

Spontanément, on pense à la rivalité israélo-palestinienne en entendant le vocable composé «Proche-Orient». Pourtant, cette région du monde n'a pas connu, comme par soudaine malédiction, un état de guerre endémique à partir du conflit entre Israël et les Arabes de Palestine ou des alentours. Dans bien des cas, le conflit israélo-palestinien ne «joue» pas ou alors comme simple instrument de propagande, et souvent ne représente-t-il qu'une toile de fond, mais pas la cause directe de ces violences. Croit-on sérieusement que si Israël disparaissait comme État souverain, le Proche-Orient se stabiliserait? Illusoire!

On admettra sans risque, à l'instar de Barack Obama, qu'un apaisement de la confrontation au Proche-Orient contribuerait évidemment à éviter certaines montées aux extrêmes. Mais de grâce, cessons de faire de cette région et de ce conflit l'épicentre des malheurs de la planète.

L'auteur est directeur de recherches à l'Institut français de géopolitique et maître de conférences à Sciences-Po et à l'ESG Paris. Il vient de publier Horizons géopolitiques aux éditions Le Seuil.