Hier, la police de Kingston a fait des révélations troublantes au sujet du meurtre des quatre femmes d'origine afghane de la famille Shafia - trois soeurs de 19, 17 et 13 ans, ainsi que la première épouse du père - trouvées mortes dans le canal Rideau. Le père, la mère et leur fils de 18 ans ont été accusé de meurtre prémédité et de conspiration.

Bien qu'il soit prématuré de qualifier ce meurtre de crime d'honneur, l'hypothèse n'est pas à écarter. Elle est même considérée comme une piste sérieuse à explorer scrupuleusement.

 

Quiconque connaît un peu la situation des femmes dans les pays musulmans sait que des crimes d'honneur y sont commis. D'ailleurs, l'ONU avance le chiffre de 5000 crimes d'honneur par an perpétrés essentiellement au Pakistan, en Afghanistan, en Iran, en Égypte, en Jordanie, au Liban, en Turquie, au Yémen et au Maroc.

Réduites au silence, enfermées, humiliées, violentées, des femmes sont aussi assassinées par un ou plusieurs membres de leur famille qui jugent leur comportement indécent. C'est comme si l'honneur des hommes se logeait entre les cuisses des femmes. C'est comme si le sexe des femmes était la propriété exclusive des hommes. Le corps aussi, d'ailleurs.

C'est bien pour cela qu'on dissimule «l'objet de la tentation» sous des étoffes moyenâgeuses. Qu'il s'agisse du hidjab ou de la burqa, leur fonction est toujours la même: camoufler le corps des femmes pour contrôler leur sexe. Dans les pays musulmans, le statut des femmes est un enjeu politique considérable. La place qu'on leur accorde dans la société traduit forcément une vision du monde qu'on défend. Les intégristes le savent fort bien.

Le traitement que subissent les femmes dans les pays musulmans n'est malheureusement plus confiné à cette région du monde. La barbarie s'exporte sous couvert de la culture et de la liberté religieuse en Europe, mais également en Amérique du Nord. La guerre des intégristes, en Europe, est aussi une affaire de famille, une intervention interne.

Son objectif? Couper le cordon ombilical qui relie les musulmans à leur pays d'accueil, leur ôter l'envie sincère de devenir français, allemands, britanniques, pour les précipiter dans l'univers émotionnel de la Ouma, la communauté islamique, cette Internationale de la foi qui fait fi des passeports, des langues et des drapeaux. La Ouma exige de vivre selon ses lois, qui nient celles de l'Europe, ou bien les manipulent.

L'exemple britannique

Le 23 janvier 2006, Banaz Mahmoud Bakabir, une jeune femme d'origine kurde, est sauvagement assassinée dans la banlieue de Londres. Étranglée et enterrée dans une malle dans le jardin de la maison familiale, son corps est trouvé le 28 avril. Ses assassins: son père et son oncle. Ce qui est d'autant plus scandaleux dans cette affaire, c'est l'inaction de la police métropolitaine de Londres à qui Banaz avait exprimé à maintes reprises ses craintes d'être tuée, sans qu'aucune protection ne lui soit offerte.

L'exemple britannique illustre comment une forme relativiste de multiculturalisme peut entrer en conflit avec les droits des femmes et la façon dont les crimes d'honneur, loin de disparaître au fil des générations de migrants qui s'établissent dans de nouveaux pays, est peut-être même à la hausse.

La police britannique est en train de se pencher sur la mort de 117 cas de femmes disparues dans des circonstances mystérieuses ces 15 dernières années. Une étude du Center for Social Cohesion intitulée Crimes of the Community, parue en février 2008, a recueilli de nombreux témoignages de femmes victimes de violences familiales. L'enquête montre également comment la complicité des autorités publiques banalise les crimes d'honneur et sert les chefs religieux intégristes.

Plus proche de nous, le 10 décembre 2007, un crime d'honneur a été commis contre une jeune adolescente de 16 ans, Aqsa Parvez, dans la région de Toronto. Le meurtrier, son père, ne supportait guère la façon d'être, de vivre et de s'habiller de sa fille. Cette dernière avait d'ailleurs inventé toutes sortes de combines pour se débarrasser de ce voile encombrant que lui imposait sa famille. Bien que son assassinat ait fait du bruit d'un bout à l'autre de notre pays, au Québec, on s'est bien gardé de qualifier cet assassinat de crime d'honneur.

Aujourd'hui, bien du chemin a été fait. Il nous est désormais possible d'évoquer ouvertement la piste du crime d'honneur. Pas parce que nous souhaitons stigmatiser une communauté, mais parce que les filles et les femmes, quelle que soit leur culture, ont le droit de vivre leur vie comme elles l'entendent. Il est de notre devoir, en tant que société, de les encourager à le faire.

Djemila Benhabib

L'auteure a publié le livre «Ma vie à contre-Coran», chez VLB éditeur.