Dans un éditorial récent (La Presse, 24 juillet), André Pratte récusait de façon péremptoire la thèse que j'ai défendue et défends toujours d'un rapport positif entre l'écoulement du temps et la marche vers l'indépendance nationale. Cette thèse n'est pas du tout à savoir que les personnes âgées votent moins. Au contraire, les faits démontrent qu'elles participent aux scrutins souvent plus que les jeunes, ce qui est à leur honneur. La fatalité fait tout simplement qu'un jour, nous cesserons tous de voter.

En attendant, il est évident que les souverainistes, en vieillissant, rejoignent une couche d'âge dont ils étaient naguère presque totalement absents. Quand j'ai commencé à militer pour l'indépendance, presque tous ceux qui étaient plus vieux que nous, sauf de notables exceptions, étaient contre nous. Pour des raisons souvent très respectables, mais fréquemment aussi à cause de l'exécrable démagogie des pensions de vieillesse menacées.

 

Mon propre grand-père a été bouleversé quand j'ai évoqué devant lui, dans les années 60, l'idée d'indépendance du Québec. Pour lui, les Canadiens c'étaient nous, et les autres des Anglais. Il croyait à la «revanche des berceaux» et à la reconquête messianique du Canada. Il visitait sa parenté dans l'Ouest qui, à cette époque, parlait toujours sa langue. Il chantait avec émotion Un Canadien errant en pensant à nos patriotes exilés.

Aujourd'hui, une bonne proportion de souverainistes sont grands-parents et ils n'ont généralement pas à convaincre de leur idéal les deux générations de leur descendance: c'est presque toujours déjà fait naturellement. Cela crée une triple alliance intergénérationnelle extrêmement porteuse.

C'est pourquoi malgré une courbe en dents de scie, souvent liée à la conjoncture, l'idée progresse inexorablement depuis Pierre Bourgault, alors que son appui était au début marginal. Un an avant le référendum de 1995, le Oui était à moins de 40%. Aujourd'hui, sans campagne référendaire, ni contexte particulièrement favorable, il est à près de 50%. Le dernier sondage que j'ai reçu comme chef du Parti québécois le mettait à 54%, ce qui correspond en gros à la progression d'un demi-point par année dont j'ai parlé. J'admets des hauts et des bas, mais on ne peut nier une tendance à long terme très encourageante.

Quant à l'analyse régionale d'André Pratte, elle est tout simplement indéchiffrable: le résultat d'un référendum est global et non géographique. Comment se pourrait-il qu'un souverainiste qui quitte le «fabuleux royaume» du Saguenay-Lac-Saint-Jean puisse changer d'idée en rejoignant les francophones de Montréal qui sont encore plus indépendantistes, s'il se peut, que dans sa région d'origine?

M. Pratte mentionne par ailleurs un point majeur qui est au coeur de la question: l'attachement au Canada baisse inexorablement. Il existe une puissante argumentation rationnelle en faveur de l'indépendance et plusieurs raisons fondamentales justifient que notre nation rejoigne le G195, comme Ban Ki-moon appelle l'ONU. Mais quand le sentiment d'appartenance s'ajoute à la rationalité, s'amorce une convergence décisive. Je crois que nous allons la voir se concrétiser de plus en plus.

Je n'ai jamais pensé que l'accès à l'indépendance était une simple question mathématique. Pour y arriver, il faut du courage, de la patience, de la lucidité, tout en respectant les autres. On voit que le temps consolide l'amour de la patrie et du pays du Québec, appelé par son vrai nom. Et le désir de le voir libre se retrouve plus naturellement chez les enfants et petits-enfants de mes contemporains que ce n'était le cas pour les générations précédentes.

C'est comme Québécois que nous nous identifions massivement aujourd'hui. Toutes origines confondues d'ailleurs. Cette évolution est porteuse de grands espoirs correspondant au rêve de René Lévesque et Pierre Bourgault.

L'auteur a été chef du Parti québécois de 2001 à 2005 et premier ministre du Québec de 2001 à 2003.