On souligne les deux premières semaines de la nouvelle vie post-tremblement de terre. En venant travailler à Haïti, ma conjointe et moi, nous étions préparés aux crises sociales marquées par la violence, à une criminalité importante ou encore aux ouragans. Aucune préparation pour faire face aux tremblements de terre. Peut-on vraiment s'y préparer? Logistiquement, c'est certain, humainement, moins sûr.

On souligne les deux premières semaines de la nouvelle vie post-tremblement de terre. En venant travailler à Haïti, ma conjointe et moi, nous étions préparés aux crises sociales marquées par la violence, à une criminalité importante ou encore aux ouragans. Aucune préparation pour faire face aux tremblements de terre. Peut-on vraiment s'y préparer? Logistiquement, c'est certain, humainement, moins sûr.

On a bien évidemment vécu toutes les formes de secousses possibles, à un degré moindre sur l'échelle de Richter que les familles haïtiennes, toutefois. Notre statut de coopérant blanc (étranger) nous donnait accès à des conditions de vie inégalables dans le contexte, pour ne pas dire inconfortables...

La poussière tombe lentement à la suite du choc initial même si les sources de frustration continuent de s'accumuler. L'aide n'arrive pas rapidement, et pas partout. Les employés qui travaillent au sein de notre projet et qui vivent dans les camps n'ont pas encore vu un casque bleu leur remettre un petit sac de provisions, de l'eau... Les camps où ils vivent sont-ils sur une liste? Est-ce qu'une liste existe?

Lors de la crise du verglas, les monteurs de ligne américains ont été accueillis par la direction d'Hydro-Québec. Carte du réseau de distribution en main, on leur a attribué des zones d'intervention et du personnel de liaison francophone pour coordonner le travail avec les équipes locales. Je ne faisais que regarder M. Caillé de mon téléviseur à l'époque, mais j'imagine que les choses se sont déroulées de la sorte.

Ici, l'État n'a ni les moyens ni les pratiques pour accueillir de manière minimalement coordonnée l'aide internationale. En fait, l'État est sous les décombres depuis le tremblement de terre, et dans le ciment avant ! Le fonctionnement de l'État haïtien fait l'objet depuis plusieurs années d'intervention internationales (celle dans laquelle je baigne depuis plus d'un an, entre autres) visant à améliorer la gouvernance, nouveau «buzzword».

En fonction des différents champs d'action, l'amélioration de la gouvernance était l'une des trois priorités de l'action canadienne à Haïti avant le séisme. Beaucoup de nos comparses des autres organisations internationales aussi. Même si on pouvait observer certaines améliorations dans les pratiques de gouvernance, le défi restait toujours titanesque.

Je me répète, on ne retrouve ni les moyens ni les pratiques (donc les connaissances) pour se doter minimalement de moyens de gérer l'intervention publique. Ce constat a été amplement documenté par les organisations internationales. Entre le constat et le changement, il y a quelques étapes (minimalement méthodologiques!) à mettre en place. Appui technique, formation, soutien logistique, et j'en passe.

Nous sommes plusieurs sur le même chantier et comme de mauvais danseurs, on se pile souvent sur les pieds. Le ministre haïtien de la Santé nous lançait très souvent cette critique: le manque de coordination des interventions internationales dans son ministère, en plus de rendre l'aide en partie inefficiente, pouvait même avoir un effet déstructurant sur les pratiques de ses fonctionnaires. Quand ton collègue médecin, qui travaille dans le même hôpital, gagne trois fois plus que toi parce qu'il a été recruté par une organisation internationale afin de prendre en charge certains types de pathologies... Pour avoir vu ce genre de situation de mes propres yeux depuis plus d'un an, je partage tout à fait l'opinion de mon ministre. Cette coordination ne repose bien évidemment pas que sur les acteurs en place, mais également sur des politiques d'aide définies dans les capitales des pays riches ou aux sièges des organisations internationales.

Ces deux constats très généraux ne décrivent pas totalement une réalité nettement plus complexe, mais ils me semblent délimiter un terrain d'analyse pour la suite. Pensons à la corruption qui s'installe plus facilement dans une structure étatique désorganisée où les conditions de travail ne permettent pas de survivre, et qui est entretenu pas des pratiques salariales «destructurantes» de la part des organisations internationales. Pensons au manque de formation des fonctionnaires de l'État, pensons à la culture organisationnelle...

La reconnaissance de ses propres limites me semble être le défi des prochaines semaines. Reconnaissance par l'État haïtien d'un urgent besoin d'une prise en charge par une communauté internationale intelligente, donc sensible. Même si la tutelle est un mot banni du vocabulaire dans certains cercles intellectuels et même si certains pays aidants ont la tutelle musclée, la communauté internationale doit pouvoir offrir un encadrement formateur à la fonction publique haïtienne afin que cette dernière soit en mesure de soutenir le développement de sa population.

Cet appui ne peut pas être que de béton et d'équipement, il devra viser l'amélioration des pratiques. La communauté internationale doit quant à elle reconnaître l'inadéquation de plusieurs de ses stratégies, mais surtout, elle devra sortir du mode «compétition internationale» dans laquelle elle peut facilement glisser et qui rend impossible toute coordination et cohérence d'action. La guerre du drapeau sur la devanture des édifices neufs ne mène nulle part.

Ils sont près de neuf millions d'Haïtiens à attendre que leur gouvernement et la communauté internationale gagnent en maturité. Ne perdons pas l'occasion que nous offre ce grand tremblement de terre pour relever le défi.