Je reviens tout juste d'un voyage sac au dos au Nicaragua. Deux amis m'ont accompagnée pour ce périple, car j'ai un handicap moteur très lourd et j'ai besoin de quelqu'un pour tous mes besoins physiques: transferts, habillage, toilette, déplacements, soins corporels. En deux semaines, nous avons sillonné cette terre de l'Amérique centrale, du nord au sud, en bateau, en autobus, en taxi et dans une boîte de «pick-up».

Malgré la très grande pauvreté de ce pays, le choc culturel le plus fort, c'est en rentrant chez moi que je l'ai ressenti. J'ai été confrontée à la réalité brutale du pays riche, trop riche, qui est le nôtre.

Depuis 2004, la ville de Terrebonne travaille d'arrache-pied à un projet d'habitations à prix modique où personnes âgées, mères monoparentales et personnes avec un handicap cohabiteraient. J'ai fait une demande pour habiter un de ces logements.

L'année dernière, des citoyens du quartier, où on prévoyait la construction, se sont soulevé et ont fait entendre leur mécontentement devant une telle construction de trois étages près de chez eux, en prétextant: augmentation de la circulation d'ambulances, privation de leur intimité (ils auraient été obligés de mettre des rideaux à leurs fenêtres pour éviter que les locataires du 3e étage ne voient dans leur salon).

La Ville n'a eu d'autre choix que d'envisager le projet ailleurs, dans un quartier plus familial et en développement, à La Plaine. Mais voilà que là aussi, les citoyens se soulèvent.

Avant aujourd'hui, sans être en accord avec eux, j'arrivais à comprendre leurs craintes. Mais aujourd'hui, au lendemain de mon expérience dans le deuxième pays le plus pauvre de l'Amérique, je comprends que la richesse est «déshumanisante»!

Là-bas, j'ai vu des hommes et des femmes porter sur leur tête et leurs épaules des charges énormes, car ils n'avaient pas l'équipement nécessaire pour le transport des marchandises. J'ai vu des hommes et des femmes transporter de jeunes enfants sur la barre avant de leur vélo, car ils n'avaient pas d'autres moyens de transport. J'ai vu des taxis en très mauvais état, rouler quand même car ce véhicule était le seul gagne-pain de son chauffeur. J'ai vu des maisons avec pour seul abri un toit de toile noire... sans mur. J'ai vu des hommes et des femmes travailler au marché avec leurs enfants en plein soleil à 35˚C de 7 h à 19 h.

Mais c'est là aussi que j'ai vu les sourires les plus sincères. J'ai vu la fierté d'un peuple debout, solidaire et digne face à la misère. J'ai été chaleureusement accueillie pour aller aux toilettes chez des gens généreux alors qu'il m'a été difficile d'y aller dans un club privé aux États-Unis, car les toilettes étaient réservées aux membres... J'ai vu une femme ayant un enfant trisomique, devant faire plusieurs kilomètres à pied ou en autobus sur une route de sable et de pierres pour aller voir un spécialiste, me donner des bananes par pure générosité, même si elle avait besoin du peu qu'elle possède pour payer ce qui est nécessaire à son fils. J'ai vu une entreprise touristique québécoise me refuser l'accès à un transport, car je prenais trop de place avec mon fauteuil et que leur clientèle pourrait se plaindre. Pour tous les chauffeurs du transport public au Nicaragua, il n'y avait jamais de problème. Ils prenaient le temps de placer mon fauteuil sur le toit alors qu'on m'installait sur la banquette; des passagers nicaraguayens me laissaient leur place.

Ici, on me dit que Dieu veut que je marche et que je manque de foi; au Nicaragua on me dit que Dieu sait ce qu'il fait, car les gens malades sont là pour nous faire comprendre l'amour. Ici, on dit que je vais faire diminuer la valeur des maisons et que je vais nuire à l'harmonie du décor... Ici, on me voudrait debout et riche, on me veut parfaite et sans faiblesse.

Je suis atterrée, sous le choc, de voir ma culture gangrenée par le capitalisme et le matérialisme au point d'être intolérante et égocentrique. Il est vrai que la richesse de mon pays me permet d'être encore en vie et d'avoir une grande autonomie grâce à tous mes équipements spécialisés, mais cette richesse rend le peuple aveugle et sourd à la compassion et à l'amour.

Aujourd'hui, je ne comprends pas et suis nauséeuse. Nous aimons nos aînés, voulons éduquer nos filles-mères, aider les personnes avec un handicap, mais ailleurs que dans notre quartier... Quel quartier voudra bien nous accueillir 

Je suis triste, mais j'espère encore que ces gens qui me rejettent sauront ouvrir leur coeur et nous accepter comme nous sommes. Envers et contre tout, je veux garder ma foi en l'être humain.