Attablés autour d'une bonne bouteille de vin dans un restaurant, nous voilà trois comptables atypiques réfléchissant à une stratégie pour redessiner l'avenir de notre société. Que devons-nous faire pour redresser les finances publiques, où aller chercher l'argent?

Attablés autour d'une bonne bouteille de vin dans un restaurant, nous voilà trois comptables atypiques réfléchissant à une stratégie pour redessiner l'avenir de notre société. Que devons-nous faire pour redresser les finances publiques, où aller chercher l'argent?

L'heure de fermeture arrive à grands pas et la serveuse, sympathique, vient terminer son verre de vin à notre table. Elle discute avec nous et finit par nous dire qu'elle possède un condominium dans le Mile-End. Surpris, mes deux compères lui demandent qu'est-ce que son conjoint fait dans la vie: elle répond qu'elle assume l'entièreté de ce fardeau. Nous voilà hébétés. Comment est-ce possible mathématiquement? Elle nous avoue qu'avec son beau sourire, elle gagne plus de 20% en pourboires, mais que le gouvernement n'exige qu'elle ne déclare que 8%. Évidemment, avec notre formation, nous la rappelons à l'ordre en lui faisant comprendre que la portion non déclarée était en fait de l'évasion fiscale. La réponse automatique nous arrive en plein visage: «Tout le monde le fait.» Et nous y voilà, un des grands problèmes du Québec: la banalisation de l'évasion fiscale.

Tous et chacun, nous sommes à la fois témoins et souvent complices, même à notre insu, de cette évasion fiscale. Elle prend plusieurs formes, parfois évidentes, parfois subtiles.

Quelquefois, j'achète un paquet de gommes au dépanneur de la station de métro. Le propriétaire pitonne 1,25$ sur la caisse. Je paie. Il appuie sur la touche «annuler» usée par ses nombreuses «erreurs» d'enregistrement. Il veut tellement être efficace, ce commerçant, qu'il laisse toujours son tiroir-caisse ouvert...

Quelques minutes plus tard, je vais chez le nettoyeur pour récupérer mes habits. Je désire payer avec ma carte de crédit, mais je me bute à une affiche «CASH seulement». Le commerce n'a pas de caisse enregistreuse et surtout pas de terminal pour faciliter le paiement. Mais cela est pour le bien-être de ses clients, qui voient leur prix diminué à cause d'une économie de coût sur les frais du terminal...

La fin de semaine arrive et mon amie décide d'acheter un nouveau matelas. Je me rends avec elle dans une grande chaîne très connue. Après des négociations somme toute rapides, le vendeur lui dit: «Je peux aussi t'enlever la TVQ, je sais pas comment ça marche, mais c'est correct.» Sans poser de question, elle fait comme tout consommateur et se fait complice innocent du tour de magie. Vous voulez savoir comment ? Simple, la vente est effectuée directement de la succursale de l'Ontario, ce qui fait en sorte que la TVQ n'apparaît pas sur la facture. D'ailleurs, je me rends compte plus tard que la facture ne comporte aucune adresse du magasin. Quel beau subterfuge n'est-ce pas?

Le lendemain, une conduite d'eau brise à la maison et le plombier me «dépanne» avec son taux spécial (trop cher) pour les «urgences». Je lui demande combien je lui dois. «Ça dépend, tu veux une facture ou non?» Je fais signe que je ne comprends pas. Il a alors la bonté de m'expliquer que le coût du papier est rendu tellement élevé avec la protection de la forêt que le papier carbone hausse la facture de mon dégât d'eau de 12,875%.

Quelques jours plus tard, j'ai une discussion avec une dame sur le crédit d'impôt du gouvernement fédéral pour la rénovation. Son conjoint étant peintre en bâtiment, elle me dit que c'est une mauvaise mesure fiscale parce que les clients de son mari préfèrent payer «en dessous de la table». Devant mon air un peu étonné, elle me précise que ce n'est pas pour se payer du luxe que son mari ne déclare pas la moitié de ses revenus, mais bien pour payer le strict minimum. Elle me dit que son mari ne fait pas comme moi le «gros salaire de Montréal». Elle a bien raison, je vis dans le grand luxe dans mon 900 pieds carré d'Hochelaga-Maisonneuve tout en prenant le métro quotidiennement pour travailler 60 heures par semaine. De quoi je me plains?

En fait, le salarié qui reçoit un T4 est le seul qui ne «bénéficie» pas de l'avantage fiscal de frauder les deux paliers de gouvernements, donc nous tous par ricochet. Cela est dû au fait que les déductions sont prises à la source lors du paiement de la masse salariale par les employeurs.

Pendant ce temps, mon verre de vin issu d'un mélange égal de trois cépages, cabernet-sauvignon, zinfadel et taxes, a un goût particulièrement amer. Deux jours plus tard, je me rends à l'hôpital, j'attends 12 heures. Dois-je être surpris d'y voir mon plombier qui s'est fait un tour de rein se plaindre que le service est trop lent? Comme dirait un de mes anciens collègues: «c'est qui le cave?» Maintenant, je sais que c'est moi.