Au sortir d'un repas gastronomique avec ses homologues américaine et mexicaine, notre auguste ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, adressait à Haïti les mots de réconfort suivants: « On ne peut tout faire... Le peuple et les dirigeants doivent travailler à rétablir la stabilité... [Autrement], il n'y aura pas de prospérité économique... »

Au-delà des entourloupettes diplomatiques, ce que cela veut dire, c'est «Démerdez-vous! Tout ce qui vous arrive, c'est votre faute, et nous n'allons pas troubler notre confort pour vous aider. Tous les milliards qu'on vous a promis, vous ne les aurez pas. D'ailleurs, vous ne sauriez pas quoi en faire. Vous ne pourriez quand même pas reconstruire des fondations et des murs avec des billets de banque! Prenez-vous en main, que diable!»

La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a quand même daigné reconnaître certains problèmes : crise humanitaire, choléra, pauvreté, faiblesse du gouvernement. Rien pour perturber la quiétude du gouvernement américain. En somme, ce qu'on dit au peuple haïtien: vous êtes les parias du monde, un peuple de sans-abri et de sans-talents. Cessez de compter sur le BS international! Vous n'avez plus de ressources? Inventez-en! Nous sommes fatigués de vous entendre vous plaindre!

Bien sûr, Haïtiens, votre pays a été malmené par l'histoire: sous couvert de colonisation, des envahisseurs européens ont assujetti votre pays et vous ont menés au bord de l'esclavage; vos terres et vos richesses naturelles ont été pillées; vos fonds ont été spoliés sans vergogne par des dictateurs corrompus (maintenant réfugiés dans de luxueux châteaux sous la protection de pays complices). Les dirigeants que vous avez élus ont lamentablement failli à la tâche, aussi bien ce prêtre sur qui on fondait tant d'espoir que le président actuel, qui n'a d'autre priorité que de rebâtir son palais!

Au cours des derniers mois, dans une situation déjà précaire, vous avez encaissé coup sur coup un séisme indescriptible, des inondations catastrophiques, une épidémie de choléra, de graves perturbations sociales, une criminalité galopante. Vous vivez depuis dix mois dans la boue et les immondices, alors qu'autour de vous trônent les ruines et les gravats.

Pourtant, au nom de la sacro-sainte autonomie des nations, nous n'interviendrons pas dans vos élections présidentielles, nous ne détournerons même pas une minime partie des fonds consacrés à nos milliers de tanks, d'avions et de véhicules militaires pour vous fournir quelques béliers mécaniques. L'oeuvre «humanitaire armée» de nos soldats en Iran et en Afghanistan ne saurait être sacrifiée pour juguler vos petits problèmes d'eau, de santé et de criminalité! Faites-les, vos élections. Qu'est-ce que ça changera, de toute façon?