«Ce peuple est en danger de mort.» – Jean-Marc Léger, 1967.

«Ce peuple est en danger de mort.» – Jean-Marc Léger, 1967.

«Le français s'en va. Après l'an 2000, il ne restera pas grand-chose.» – Gilles Vigneault, 1989.

Depuis la Conquête, on prédit la disparition du français de ce coin d'Amérique. L'étude publiée cette semaine par le député péquiste Pierre Curzi, intitulée Le grand Montréal s'anglicise, n'est donc que le plus récent d'une longue série d'avertissements apocalyptiques.

«L'île de Montréal ne s'anglicise pas en solitaire, peut-on lire dans le préambule. Les effets de son anglicisation actuelle exerceront une pression à long terme sur l'anglicisation de tout le Québec.» Suit une fastidieuse démonstration statistique... qui ne démontre rien du tout. L'étude souffre en particulier d'un manque de recul; recul géographique et recul chronologique.

Comme d'autres observateurs inquiets, M. Curzi et son équipe concentrent leur attention sur l'île de Montréal. La proportion de francophones y a en effet diminué entre le recensement de 1996 et celui de 2006. Y a-t-il pour autant anglicisation de l'île? Non, puisque la proportion d'anglophones n'a pas augmenté. C'est la part des allophones qui a grimpé, des allophones qui s'intègrent de plus en plus à la culture francophone (les données du dernier recensement sont claires à ce sujet). Surtout, des dizaines de milliers de francophones ont traversé les ponts pour s'installer dans des banlieues massivement françaises. Montréal ne s'anglicise pas, elle s'étend.

L'étude publiée cette semaine pèche aussi par myopie: elle voit seulement ce qui s'est passé depuis 10 ans, et en particulier depuis cinq ans. Or, en démographie, les tendances lourdes s'observent sur plusieurs décennies. Comment peut-on parler d'anglicisation du Québec alors que depuis 1941, la proportion de personnes de langue maternelle anglaise ne cesse de glisser, de 14,1% à l'époque à 8,2% aujourd'hui? Même chose pour le pourcentage de personnes utilisant surtout l'anglais à la maison (langue d'usage), qui est passé de 14,7% à 10,6% malgré le puissant attrait qu'exerce cette langue sur les immigrants.

Toujours de 1941 à 2006, la proportion de francophones dans la province n'a pratiquement pas bougé: 80%. Pas mal pour un peuple en voie d'extinction! D'un recensement à l'autre, il y a de minuscules variations à la hausse ou à la baisse, mais pas de changements significatifs. En concentrant toute son attention sur la petite diminution du pourcentage de francophones survenue entre 2001 et 2006 (en raison de l'importante hausse du nombre d'immigrants), M. Curzi perd de vue que la minorité anglophone est beaucoup moins nombreuse aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a 20 ans, 30 ans, 60 ans...

Soyons logiques: on ne peut pas soutenir que le Québec s'anglicise alors que le nombre d'anglophones diminue.