Les députés fédéraux s'en sont donné à coeur joie mardi, mitraillant les représentants de Shell de questions et d'accusations au sujet de la fermeture annoncée de la raffinerie de Montréal-Est. Convoqués par le Comité de l'industrie de la Chambre des communes, les gens de Shell se sont fait sermonner, notamment par le libéral Denis Coderre et le néo-démocrate Yvon Godin. «On se fait fourrer aujourd'hui», a lancé M. Coderre, selon qui la fermeture de la raffinerie menace la sécurité énergétique du Canada. En cas de guerre (!), a prétendu le député de Bourassa, le Canada sera dépendant de l'essence venant de l'étranger. D'ici là, Shell fera venir l'essence du golfe du Mexique, devenant de ce fait complice de BP. Ouf!

MM. Coderre, Godin et d'autres députés se font les défenseurs de travailleurs de Montréal-Est; c'est tout à leur honneur. Cependant, les témoignages entendus hier à Ottawa laissent penser que Shell n'est pas de mauvaise foi, qu'elle a bel et bien tenté de vendre sa raffinerie. La multinationale n'a pas trouvé de repreneur prêt à payer le prix qu'elle attendait. Un dirigeant de Delek, dernier acheteur potentiel en lice, a bien fait comprendre aux députés que la société n'était pas intéressée à acheter seulement la raffinerie; elle voulait aussi acquérir les opérations de gros (et peut-être de détail) de Shell dans l'est du Canada. Pour ce magot, Shell exigeait évidemment beaucoup plus que les 150 à 200 millions demandés pour l'usine montréalaise.

Dans ce dossier, le syndicat des travailleurs et les députés dépeignent Shell comme le méchant et Delek comme le sauveur. Il serait plus sage de prendre un peu de distance: Delek, comme Shell, est dans le domaine du pétrole pour faire des profits. Elle voulait acheter la raffinerie au plus bas prix possible tandis que Shell cherchait à en obtenir davantage. De part et d'autre, il s'agit d'une attitude parfaitement légitime.

M. Coderre a rappelé que Shell avait commis des infractions relatives aux lois du Québec sur l'environnement; il faudrait aussi se souvenir qu'à la suite d'un incendie survenu il y a deux ans dans sa raffinerie du Texas, incendie qui a fait deux morts, Delek s'est vue reprocher par le ministère américain du Travail d'avoir gravement manqué à ses obligations envers la sécurité de ses travailleurs.

Shell considère que la raffinerie de Montréal-Est est «trop petite, trop vieille, la moins concurrentielle des raffineries du Canada». D'autres ont dû faire la même évaluation puisque Delek est la seule entreprise à avoir négocié sérieusement avec la multinationale. Est-on certain qu'elle aurait fait un bon propriétaire? Avait-elle les reins assez solides pour non seulement acheter mais moderniser la raffinerie? La transaction aurait-elle fait autre chose que retarder l'inéluctable?