Autant les dictatures, à coups de matraque et de censure, peuvent se maintenir au pouvoir des décennies durant, autant elles se révèlent fragiles lorsque leur heure est arrivée. On l'a constaté il y a deux semaines en Tunisie. On le voit ces jours-ci en Égypte, où le régime d'Hosni Moubarak vacille devant la manifestation soudaine de la colère populaire.

D'un pays à l'autre, les sources de cette fragilité se ressemblent: un régime corrompu, une population pauvre et sans espoir, l'accumulation des frustrations et des souffrances imposées par l'injustice, l'arbitraire et la violence institutionnalisés. Pendant des années, ceux qui osent contester ouvertement la légitimité du régime sont emprisonnés, torturés, tués. Terrorisé, le peuple endure.

Tout à coup, le barrage cède et la foule envahit la rue, nargue les tanks. Quel a été l'événement déclencheur? Dans les cas tunisien et égyptien, on a beaucoup parlé des médias sociaux. Ceux-ci ont certainement joué un rôle, permettant à une opposition sans organisation de rejoindre en un clic des millions de personnes. Mais l'existence de Facebook et de Twitter n'est pas une condition suffisante.

Un jour, la population cesse d'avoir peur. Et elle croit le changement à sa portée. «Cette semaine, les Égyptiens ont brisé la barrière de la peur. Désormais, rien ne les arrêtera», a soutenu le Nobel de la paix Mohamed ElBaradei. Comme l'explique ci-contre Jean-Noël Ferrié, spécialiste du monde arabe, «les Égyptiens sont avant tout descendus dans la rue parce que les événements tunisiens leur ont insufflé l'idée que c'était possible».

Face à cette idée, le pouvoir le plus autoritaire est tout de suite dépassé. Il réplique avec les seules armes qu'il connaît. La police et l'armée sont envoyées pour rétablir l'ordre; la foule ne recule pas. Les médias sont censurés, l'internet est bloqué; les citoyens discutent comme jamais. Enfin, tel Moubarak vendredi, le pouvoir tente de berner le peuple par des changements cosmétiques. Dérisoire.

En Égypte, l'opposition traditionnelle a été tout aussi étonnée que le régime. Les manifestants n'ont pas d'idéologie commune, pas de leader. Fascinant mais dangereux. Ce pays de 80 millions d'habitants, jouant un rôle stabilisateur fondamental dans la poudrière du Proche-Orient, pourrait-il sombrer dans l'anarchie?

C'est pourquoi la présence de M. ElBaradei, mandaté par divers groupes d'opposition pour assurer la transition, est cruciale. L'armée acceptera-t-elle de négocier avec lui? Ou bien se contentera-t-elle de lâcher Moubarak pour imposer son favori, Omar Souleimane, tout juste nommé à la vice-présidence? Si c'est à cela qu'aboutit la révolte des derniers jours, ce sera la preuve que le régime égyptien n'a toujours pas compris. Peut-être parviendra-t-il, encore une fois, à s'imposer par la force. Mais il sera plus fragile que jamais.