«Manque de leadership, de gestion coordonnée, d'imputabilité et de responsabilité, gaspillage insensé»: le docteur Jeffrey Turnbull n'a pas mâché ses mots dans son dernier discours à titre de président de l'Association médicale canadienne (AMC), mardi. Devant ses membres réunis à St. John's, M. Turnbull a déploré «le déclin lent et constant d'un système de santé profondément troublé», un système qui, malgré la croissance rapide des sommes qui y sont investies, est moins efficace que ceux de plusieurs pays européens.

Pendant que le docteur Turnbull dressait ce triste diagnostic, David Levine faisait, devant une commission parlementaire à Québec, le bilan de l'action de son Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Élément troublant de la présentation, ce constat d'échec: malgré tous les efforts consentis, les salles d'urgence continuent de déborder et de trop nombreux patients y passent plus de 24 heures, voire plus de deux jours. «Vous ratez la cible année après année», lui a reproché la députée Agnès Maltais. M. Levine a pris l'«engagement» que le problème serait - peut-être - réglé... en 2015.

Dans le cadre de son congrès, l'AMC a publié le rapport d'un groupe d'experts qu'elle avait chargé de proposer des façons d'améliorer les soins offerts aux Canadiens. Ces experts, parmi lesquels l'ancien ministre québécois Philippe Couillard, ont conclu à l'urgence de réformes profondes dans la philosophie et la gestion de nos réseaux de soins. «Le problème dans le système, ce n'est pas l'argent», affirment-ils. D'autres pays font face à la montée des coûts et au vieillissement de la population: «Beaucoup relèvent le défi avec plus de succès tout en dépensant moins d'argent.»

Rappelons qu'au Canada, au cours des cinq dernières années, les dépenses des gouvernements pour la santé ont augmenté de 36 milliards, sans qu'on rapporte d'améliorations significatives dans l'accès aux soins ou dans l'efficacité du système.

Les recommandations du groupe d'experts ne sont pas nouvelles: financement des établissements selon les services rendus, modifications dans la rémunération des médecins, nouvelles méthodes de financement, etc. Chaque fois qu'un gouvernement a envisagé d'emprunter l'une ou l'autre de ces avenues, il a fait face à une levée de boucliers des lobbies et de la population. De sorte qu'outre des améliorations dans quelques domaines ciblés, on a vu pour seuls changements des hausses de dépenses et des réaménagements de structures.

Jeffrey Turnbull a appelé les médecins canadiens à l'action: «Nous ne pouvons nous permettre de céder à l'apathie, de faire passer nos intérêts en premier, de perdre ce qui est essentiel aux Canadiens.» L'orateur a conclu sur une note optimiste. Les nombreux espoirs déçus des dernières années nous portent plutôt au scepticisme.