Le premier rapport de l'Unité anticollusion (UAC) du ministère québécois des Transports fait une description à la fois détaillée et troublante des pratiques de collusion mises en place au fil des années par l'industrie privée, parfois avec la complicité d'employés du gouvernement et de politiciens.

Obtenu hier soir par certains médias, dont La Presse, ce «document secret» confirme ce que les reporters d'enquête, notamment ceux de ce journal et de l'émission Enquête de Radio-Canada, ont mis au jour au cours des derniers mois. Cette fois-ci, on ne pourra pas dire que les médias exagèrent: le rapport est le fruit du travail d'enquêteurs de police chevronnés dirigés par l'ancien chef de la police de Montréal Jacques Duchesneau.

Sur la base de témoignages recueillis au sein du Ministère, de l'industrie et des milieux politiques, le document parle d'une «industrie gangrenée dans plusieurs régions». La situation se serait aggravée au cours des dernières années à la faveur de l'augmentation fulgurante des investissements publics dans les infrastructures routières.

Les membres de l'UAC décrivent un monde où des firmes d'ingénieurs-conseils et des entrepreneurs contournent aisément les règles encadrant les appels d'offres pour fausser la concurrence et soutirer des millions au gouvernement. Ce système est favorisé, croient les enquêteurs, par le fait que le ministère des Transports (MTQ) ne dispose plus d'un nombre suffisant d'ingénieurs expérimentés pour exercer une supervision efficace des soumissions et des travaux faits par le secteur privé. (Gardons toutefois ceci à l'esprit: c'est pendant l'âge d'or du MTQ décrit avec nostalgie par les fonctionnaires qu'ont été construites les infrastructures qui s'effondrent aujourd'hui.)

Plus grave encore, «un grand nombre d'entreprises du domaine de la construction entretiennent des liens avec des organisations criminelles». Le crime organisé profiterait d'entreprises légitimes «pour détourner des fonds publics, soumettre le monde de la construction à son emprise et faire régner sa loi jusque dans l'économie réelle».

Le lien entre l'industrie de la construction et le financement des partis politiques n'occupent qu'une page et demie d'un document qui en fait soixante-dix-huit. N'empêche, les témoignages cités confirment les rumeurs entendues à ce sujet depuis des années.

Le gouvernement de Jean Charest voit dans ce rapport la confirmation du bien-fondé de sa stratégie de lutte contre la corruption dans la construction qui exclut la mise en place d'une commission d'enquête. Dans une certaine mesure, c'est exact. Cependant, l'UAC souligne que la lutte contre la criminalité nécessite «le soutien actif de la population». Or, quelles que soient les autres mesures qu'il prenne, le présent gouvernement n'obtiendra pas ce soutien s'il refuse de se plier à la volonté populaire. Or, on le sait, les Québécois exigent presque unanimement la tenue d'une enquête publique.