Comme tous les Québécois, Jean-Guy Pitre se pensait couvert par un régime de santé universel. Il s'est plutôt retrouvé dans un système de soins aléatoire, qui l'a laissé mourir sans lui avoir prodigué l'opération cardiaque qu'il attendait depuis plus de cinq mois. Une dérive inacceptable.

Si le patient était décédé peu de temps après avoir reçu son diagnostic, ou s'il était mort des suites de son opération, on aurait pu parler de circonstances indépendantes de la volonté de tous. Ce n'est pas le cas.

 

M. Pitre attendait une intervention depuis septembre dernier. Sa santé s'était tellement détériorée qu'il était rendu en haut de la liste. Pourtant, la date de l'opération était constamment reportée. Le résidant de Venise-en-Québec est finalement décédé vendredi dernier.

Serait-il encore vivant s'il avait été opéré à temps? On ne le saura jamais. Mais il est certain qu'il n'a pas reçu les soins auxquels il avait droit.

Chaque fois que nous dénonçons un cas comme celui-ci, des lecteurs s'objectent et témoignent des excellents traitements qu'ils ont eux-mêmes reçus. De fait, la majorité des Québécois finissent par recevoir des soins de qualité. Le problème, c'est que notre système de santé commence à ressembler dangereusement à un jeu de courte paille: presque tous les participants s'en tirent à bon compte, mais celui qui tire le mauvais numéro paye de sa personne. C'est ce qui est arrivé à M. Pitre. Et c'est ce qui a failli arriver à un autre patient du CHUM, Pierre Latulippe, qui a vu son quadruple pontage reporté 10 fois.

C'est le manque d'infirmières aux soins intensifs qui occasionne ces délais, rapporte notre collègue Ariane Lacoursière. Le problème n'est pas nouveau. Pour le pallier, Québec a créé un programme d'incitatifs aux soins critiques - des primes pour attirer et retenir les infirmières aux urgences et aux soins intensifs. De toute évidence, il va falloir plus que ça à l'Hôtel-Dieu et à Notre-Dame.

On peut remettre la situation en contexte, parler du débordement récent des urgences dans les hôpitaux montréalais, de leurs problèmes de recrutement chroniques. On ne peut cependant pas s'en tenir à ces constats. Il faut continuer à chercher des solutions, jusqu'à ce qu'on les trouve.

La médecine a des limites, c'est certain. Il y a des prématurés qui ne peuvent pas être sauvés, des cancers impossibles à traiter, des accidentés qui ne pourront jamais remarcher. Cette nécessaire compréhension ne doit toutefois pas dégénérer en fatalisme. Surtout lorsqu'il s'agit de l'organisation des soins.

La situation de la chirurgie cardiaque n'a rien d'insoluble. Au contraire, l'attente a beaucoup diminué dans cette spécialité au cours des dernières années. Si l'intervention de M. Pitre avait été prévue quelques mois plus tôt, ou plus tard, ou dans un autre hôpital, il aurait probablement été opéré dans les délais acceptables. On peut dire qu'il n'a pas eu de chance. Mais on ne doit pas considérer ça comme normal. Car ça ne doit pas devenir la norme.

 

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